Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/640

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lucera, la célèbre Lucera dei Pagani de l’empereur Frédéric II de dramatique mémoire, qui dresse sa silhouette monumentale sur un haut plateau sauvage et dénudé. Nous visitons les églises, fort belles. Surtout, nous courons, à quelques centaines de mètres de la ville, aux ruines de la sombre forteresse où cet empereur extraordinaire, cet homme tellement en avant de son siècle, avait installé cette armée de 60 000 Sarrasins, dont il avait réussi, à l’horreur du Pape et de la chrétienté, à se faire pour lui les soldats les plus dévoués. Il a vécu souvent, à Lucera, auprès de cette multitude féroce dont il était le dieu, entouré de cette cour élégante et lettrée, mi-partie chrétienne, mi-partie musulmane, qui avait fait de lui un empereur excommunié.

Faisant un grand crochet vers la droite, à travers le Tavogliere et sa plaine infinie, triste et déserte, nous gagnons, sur un des premiers contreforts de l’Apennin, une autre cité des Pouilles, une autre fameuse ville médiévale, une des premières conquêtes des Normands en Italie, Troja, fondée par le stratigos byzantin Bugianus, qui lui avait donné ce nom légendaire, assiégée plus tard par l’empereur Henri III en Un siège célèbre, qui se termina par la plus lamentable des retraites. Aujourd’hui petite ville isolée, habitée par une population d’aspect farouche et famélique, Troja ne recevrait jamais de visiteurs, si elle ne possédait un des plus merveilleux dômes d’Italie. La cathédrale, splendide, s’élève sur une petite place banale, encombrée de centaines d’enfans, dont l’indiscrète et bruyante curiosité est une calamité presque insupportable : Sa façade est tellement belle, en sa sauvage rudesse, qu’elle nous arrache des cris d’admiration. Nous ne pouvons cesser de la contempler. Elle est aussi superbe, aussi fraîche que si elle était d’hier. Elle possède des portes de bronze richement décorées, exécutées à Constantinople au XIe siècle, comme toutes celles que nous allons rencontrer désormais dans cette grande plaine des Pouilles. Nous quittons avec peine cet endroit inoubliable, et, par les mornes étendues du Tavogliere, nous gagnons vers le soir Foggia, capitale de la province, où nous devons passer deux nuits.

Foggia n’était, au Moyen Age, qu’un gros bourg, où les milliers de pâtres du Tavogliere venaient s’approvisionner. Frédéric II, qui y tint très souvent sa cour, y construisit des églises, un palais dont il ne demeure qu’un arceau charmant. C’est