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c’est-à-dire des soldats et des marins selon le modèle européen. C’est aussi qu’une fois entrés dans cette voie, les Japonais, par ce même éclectisme qui leur avait fait adopter jadis les doctrines, les cultures indienne et chinoise, ne répugnaient pas à l’idée de tirer de l’Occident l’outillage, la force matérielle qui leur étaient nécessaires. Mais plus que jamais, le Japon restait le Japon, et cette crise de nationalisme allait si loin que, dans son retour au passé, il dépassait les limites mêmes des périodes pendant lesquelles il s’était assimilé les doctrines indienne et chinoise pour atteindre les temps antérieurs, presque préhistoriques, les temps de la race primitive, du Shinto, de la dynastie divine. Déjà, dès les débuts de la réaction nationaliste, un lettré du XVIIe siècle, bien connu par sa révérence pour les sages de l’Inde et de la Chine, interrogé sur ce, qu’il ferait, si une armée commandée par le Bouddha et par Confucius envahissait le Japon, avait répondu qu’il couperait la tête de Çakya-Mouni et qu’il tremperait dans la saumure la chair de Confucius. — Le Japon sortit de la crise plus nationaliste encore en ce sens que, non seulement c’était le vieux Japon qui renaissait en lui, mais que, et bien que nourri de la culture indienne et chinoise, c’était lui désormais qui incarnait l’Asie, et en pouvait refaire l’unité.

Dans les événemens qui se succédèrent depuis l’année 1853, et à travers toutes les péripéties, lorsque, à la suite du mouvement de réaction ci-dessus décrit, la lutte s’engage entre le shogunat des Tokugawa et les partisans de la restauration impériale, c’est tout de suite l’idée impériale qui l’emporte. La première pensée du shogun lui-même, quand le projet de traité du commodore Perry lui a été remis, c’est de consulter le Trône, ce qu’il n’avait jamais fait, et de lui envoyer une ambassade dans ce dessein. Et de même, lorsque, après la mort du shogun Iemochi, en 1866, Keiki fut appelé à lui succéder, ce dernier, fidèle aux principes que lui avait inculqués le prince de Mito, son père, et dévoué comme il l’était au Mikado, n’avait d’autre pensée que de résigner ses pouvoirs et de restituer au Trône impérial toute son autorité. — Okakura retrace avec le plus vif intérêt, dans son court et suggestif ouvrage, les diverses phases par lesquelles passa, de 1853 à 1868, le duel final entre le shogunat et l’Empire. Il montre que si, à la rigueur, et avec plus d’habileté, le shogunat eût pu survivre, c’eût été, en tout