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littéraire ressemble à celle qui, aux XVIIIe et XIXe siècles, prépara, dans plusieurs contrées d’Europe, la résurrection de nationalités abolies et d’États déchus.

Les Tokugawa, malgré le régime de police et de compression qu’ils avaient instauré, ne craignirent pas tout d’abord ces diverses écoles de pensée, ces recherches archéologiques, philosophiques ou littéraires, dont la tendance leur échappait. Ils encouragèrent eux-mêmes certaines publications dont l’esprit ne se révélait point à eux. Et cependant, après avoir envahi les samurai, le nouvel esprit se communiquait aux daïmios, non seulement à ceux qui, comme les daïmios de Satsuma et de Choshiu, avaient toujours eu une haine héréditaire contre le shogunat, mais à certains princes de la famille même des Tokugawa, aux daïmios de Mito et d’Echizen. — C’est ainsi que, sous le shogunat en apparence le plus fort, le plus assuré de son pouvoir, se préparait le mouvement qui allait l’emporter, et restaurer, avec le vieux Japon, le pouvoir impérial redevenu l’étendard et le bouclier de la nation. Le mouvement était déjà très avancé, les shogun avaient, par de brusques et tardives exécutions, vainement essayé de l’arrêter et de l’étouffer, lorsque l’escadre américaine se présenta en vue du port d’Uraga. « C’est alors, écrit Okakura, que l’Occident apparut sur notre horizon. »

Lorsque l’Occident apparut dans la personne du commodore Perry invitant le Japon à conclure un traité de commerce et d’amitié avec les États-Unis, la réaction contre le régime des Tokugawa, le mouvement de retour vers le vieil esprit japonais, vers le pouvoir impérial, vers les anciennes institutions, doctrines et croyances, étaient déjà très prononcés et accentués. L’effet de cette brusque apparition de l’Occident fut, non pas de créer un mouvement dont les origines remontaient au XVIIe siècle, mais de le précipiter. Loin d’être un mouvement de rapprochement vers l’Occident ou d’occidentalisation, ce fut, au contraire, un mouvement de nationalisme, sous la forme d’un retour à l’ancienne civilisation, au vieux Japon. Ce qui, aux premiers témoins et observateurs de ces événemens, put faire illusion, c’est qu’en vue de se défendre contre l’Occident, et puisque le commodore Perry laissait au Japon une année de réflexion pour examiner et accepter son projet de traité, le Japon n’hésita pas à emprunter à l’Occident ses armes,