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ont été élevés les principaux hommes d’Etat, généraux et amiraux du Japon moderne. — La troisième école, dite l’Ecole historique, commença vers la fin du XVIIe siècle par la compilation des généalogies des principales familles et la publication de leurs archives. Elle se poursuivit au siècle suivant par des recherches d’histoire, de philologie et de littérature, par l’évocation du passé du Japon, de ses anciennes croyances et doctrines, de son culte, de ses vieilles poésies et légendes. Ce mouvement, inauguré par Keichiu-acharya, et qui eut son couronnement dans les œuvres célèbres de Motoori et Harumi[1], en ramenant la lumière sur les ouvrages de l’ancien Japon, ranimait, non seulement le goût de la littérature nationale, mais le culte des croyances primitives, du Shinto, de l’Empereur. « L’esprit historique ainsi vivifié, écrit Okakura, après avoir pénétré les domaines de la littérature, de l’art, de la religion, atteignit enfin le cœur des samurai. Jusque-là les effets, confinés au monde des lettrés, avaient été brillans, sans être décisifs. Mais le nouveau message se propagea, en se démocratisant, dans les œuvres d’écrivains du XVIIIe siècle, puis du XIXe, au premier rang desquels se distingue Rai Sanyo[2], le poète historien. C’est des pages lumineuses de cet écrivain que l’entière signification du passé s’imposa à l’esprit des jeunes samurai et des ronin. Leur mémoire remonta aux temps où le caractère sacré impérial était méconnu, où le chrysanthème s’inclinait sous le souffle cruel de l’arrogance des Ashikaga, où le palais des Empereurs lui-même tombait en ruines en face du pavillon d’or des shoguns. Ils lisaient avec tristesse les poèmes du loyaliste solitaire, chantant sa chanson mélancolique dans la nuit sans lune. Ils s’arrêtaient avec un mélange d’orgueil et de chagrin à l’histoire de l’empereur Godaigo qui brisa le pouvoir des shoguns de Kamakura et, pour un temps, rétablit -l’autorité légitime[3]. Devant eux se dressait l’image de Masashige, le héros qui combattit pour l’empereur Godaigo, tout en sachant sa cause perdue. » Cette renaissance historique et

  1. Motoori Norinaga (1730-1801) a publié 55 ouvrages formant 180 volumes. Son œuvre principale à laquelle il travailla pendant plus de trente ans est le commentaire en 44 tomes du Koji-ki, la première histoire du Japon.
  2. Rai Sanyo (1780-1832 ; se distingua surtout comme historien. Ses deux principaux ouvrages, Nihon-gwaishi, Nihon-seiki, plaidaient déjà la cause de la restauration impériale.
  3. Le Réveil du Japon, p. 87-89.