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sont : les kuge (aristocratie de cour de Kyoto), les daïmios (seigneurs féodaux au nombre de trois cents environ, dont une bonne partie créée par les shoguns), les samurai (guerriers, gens d’épée, au nombre de quatre cent mille environ), le peuple enfin, divisé lui-même en fermiers, artisans, commerçans, sans compter les parias ou yettas, considérés comme hors la loi.

Toutes ces classes ou castes, unies sous le joug, demeurent profondément séparées les unes des autres par l’hérédité, la tradition, la vigilance jalouse d’une loi et d’une police implacables. Dans l’intérieur d’une même classe, les individus, qu’ils soient daïmios, samurai ou gens du peuple, sont de même, autant que possible, isolés, séparés les uns des autres par des jalousies, rivalités, défiances savamment entretenues entre membres d’une même aristocratie, par des différences, routines, règlemens de métiers, entre les diverses professions exercées dans les diverses couches du peuple. Le système des cloisons étanches est poussé si loin que chaque classe a ses plaisirs, ses récréations, ses arts spéciaux, son théâtre, sa musique, sa danse, ses acteurs, ses peintres et ses sculpteurs. Le régime des Tokugawa est, par la séparation complète du monde extérieur, par la relégation au dedans, par le maintien rigoureux des classes et des compartimens, par la surveillance étroite et la police qui est le grand instrument du règne, l’exemplaire sans doute unique d’une féodalité artificielle, gouvernée, sous un titre d’emprunt, par un monarque absolu, et dont le mouvement, par cette succession de clôtures s’enchevêtrant l’une dans l’autre, est restreint, parqué dans une série de préaux qui s’emboîtent. Et cependant l’agencement même du régime est si subtil, les ressorts du gouvernement y sont si voilés, la vie pour chacune des classes y est distribuée et comme dosée avec une telle connaissance des besoins, des goûts, des aspirations mêmes de chacun, l’ordre y est si bien assuré, la prospérité y est telle, le bien-être de l’accoutumance, de la tradition, de l’hérédité, de la paix y endort si bien l’activité, la répartition de toutes ces existences aboutit à une telle maîtrise, à une telle sûreté, à une telle perfection relative dans le détail, à tous les degrés, que les gens se sentent heureux, que, dans les souvenirs du peuple, c’est le bon temps, et que le Japon, après l’avoir perdu, le regrettera. Dans cette société ainsi organisée, les vieilles formes de croyance ou de pensée, le shinto, le