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l’architecture des Han. Les temples de Nara sont riches en représentations de l’art des Tang et de l’art indien, alors dans sa splendeur. Les trésors des daïmios abondent en œuvres d’art et en manuscrits appartenant à la dynastie des Song, et, comme ces reliques ont été perdues en Chine, d’abord pendant la conquête mongole, puis à l’époque de réaction des Ming, certains lettrés chinois d’aujourd’hui en viennent à chercher au Japon même la source de leur propre science. Le Japon est ainsi le musée de la civilisation asiatique[1]. »

Mais Okakura s’empresse d’ajouter que le Japon est plus qu’un musée, — le génie de la race japonaise ne lui faisant accueillir les divers « idéaux » du passé que dans cet esprit de vivant éclectisme (ou, selon la doctrine indienne, d’ « advaïtisme »)[2] qui donne la bienvenue aux nouveautés, sans renoncer aux anciennes traditions. Le Japon conserve, mais transforme en même temps ce qu’il reçoit. « Le roc de notre fierté nationale, de notre unité organique a tenu bon à travers les âges, malgré les vagues puissantes venues des deux grands pôles de la civilisation asiatique. Le génie national n’a jamais été submergé. L’imitation n’a jamais pris la place de la création libre. Il y a toujours eu une énergie assez abondante pour accepter et transformer l’influence reçue, si massive qu’elle fût. C’est la gloire de l’Asie continentale que son contact avec le Japon ait toujours été une source de vie et d’inspiration nouvelle. Mais c’est aussi l’honneur le plus sacré de la race de Yamato de se maintenir invincible, non seulement au sens politique, mais plus encore et plus profondément comme un esprit vivant de liberté dans la vie, dans la pensée, dans l’art[3]. » — L’originalité, la vocation du Japon apparaît ainsi. C’est d’abord d’avoir amassé, condensé, résumé en lui les deux grandes civilisations d’Asie (Inde et Chine), toutes deux gravement atteintes et menacées par l’invasion mongole, puis de les avoir transformées, faites siennes, d’en avoir tiré sa propre culture. C’est enfin, lorsque séparé, coupé du continent même de l’Asie, et dans sa longue réclusion, il avait achevé l’œuvre de cette culture, d’avoir su et pu, devant une civilisation

  1. Les Idéaux de l’Orient, p. 6 à 8.
  2. Le mot « advaïtisme » est le nom de la grande doctrine indienne, selon laquelle tout ce qui existe, malgré la diversité apparente, est réellement un.
  3. Les Idéaux de l’Orient, p. 19-20.