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à lui avec plus de clarté et de profondeur, il écrivit les deux ouvrages capitaux que je voudrais étudier ici, Le Réveil du Japon et Les Idéals, ou, si je puis risquer l’expression, Les Idéaux de l’Orient. Nulle part peut-être, pas même dans les merveilleux écrits de Lafcadio Hearn, ni dans le livre excellent de B. H. Chamberlain sur les Choses du Japon (Things japanese), l’âme et l’art du Japon, le sens de son histoire, de sa civilisation et de sa vie, nulle part la pensée, la foi, le rêve de l’Asie n’ont été saisis, interprétés avec plus de vérité tout ensemble et de poésie.

C’est cette interprétation que je voudrais essayer de reproduire et de commenter ici, en montrant comment, dans les deux ouvrages d’Okakura, l’histoire et l’art, la réalité et l’idéal se mêlent et se confondent, le Japon ayant peu à peu uni et concentré en lui tous les « idéaux » de l’Orient, et ces « idéaux » étant devenus, par lui, la réalité même de son histoire.,


I

La loi fondamentale, qui, selon Okakura, régit l’histoire de l’Extrême-Orient, est l’unité de l’Asie. « L’Asie est une, écrit-il. L’Himalaya ne sépare que pour leur donner plus d’accent deux grandes civilisations, la civilisation chinoise avec le communisme de Confucius, la civilisation indienne avec l’individualisme des Vedas. La barrière même des neiges éternelles ne saurait un seul moment faire obstacle à cette large expansion de l’amour de l’absolu et de l’universel, qui est le commun héritage de toutes les races de l’Asie, et fait d’elles les génératrices de toutes les grandes religions de ce monde[1]. »

Et, peignant à large fresque l’histoire antérieure de l’Asie, Okakura ajoute :

« Jusqu’aux jours de la conquête musulmane, et par les grandes routes de la mer, les marins intrépides de la côte du Bengale vinrent fonder leurs colonies de Ceylan, de Java, de Sumatra, mêlant le sang aryen au sang de Birmanie et de Siam, et rattachant par de mutuelles relations la Chine et l’Inde. La conquête du sultan Mahmoud de Ghasni, au XIe siècle, fut suivie de longs siècles de contraction, pendant lesquels l’Inde se

  1. Les Idéaux de l’Orient, p. 1.