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grand nombre de catholiques pourraient ensuite s’introduire dans la ville, sous prétexte de venir étudier. La surveillance continuait d’épier, aux heures de messe, les visites du résident ; le pasteur Vernet, un lendemain de Noël, venait dire au Consistoire qu’il y avait eu du monde à la messe de minuit : « C’était un scandale, » déclarait-il. Sous les regards mêmes du Résident de France, le jubilé de la Réforme, en 1735, donnait lieu à des manifestations antipapistes. Pour fêter ce second centenaire de l’abolition de la messe, l’ingéniosité genevoise agençait de suggestives illuminations : rue du Rhône, on voyait le pape tourner, une chandelle à la main, et souffler sur la chandelle, sans cesse, pour tâcher de l’éteindre, mais la flamme demeurait plus forte que le souffle débile du vieillard. Pour le petit Genevois imbu de l’atmosphère genevoise, pour le petit Jean-Jacques par exemple, le catholicisme n’était qu’une affreuse idolâtrie, et le clergé catholique lui avait été peint sous de si « noires couleurs » que, pendant longtemps, il ne put entendre la sonnette d’une procession sans un « frémissement de terreur. »

Retenons cette impression d’enfance de Jean-Jacques, elle peut nous aider à comprendre l’étrange anomalie qu’offrit le spectacle de Genève révolutionnaire. Un jour de 1793 le pasteur Anspach demanda dans un club que la liberté des cultes fût admise à Genève. Le club répondit non. Un esprit fort émancipé, comme l’agitateur Isaac Cornuaud, bisaïeul de Victor Cherbuliez, trouvait extravagante la motion d’Anspach et le taxait d’insensé. Anspach insista devant l’assemblée genevoise : quelques autres clubistes l’appuyèrent de leur pétition, réclamant, par exemple, de l’étranger qui viendrait s’inscrire Genevois, un certificat de civisme ou de moralité plutôt qu’un certificat de protestantisme. Mais la chaire de Saint-Pierre s’insurgea. Un collègue d’Anspach, Mouchon, au jour de Noël 1793, le visa, le réfuta, dans un sermon sur la nécessité d’une religion nationale ; et la Compagnie des Pasteurs, fière de cet exposé de principe, le fit imprimer à ses frais. En janvier 1794, le peuple souverain parla : par 2 808 voix contre 382, il maintint solennellement l’obligation pour tout Genevois d’être protestant, ce qui voulait dire : de n’être point papiste.

2808 Genevois, soudainement mis en présence de cette perspective, le papisme à Genève, avaient ressenti le frémissement décrit par Jean-Jacques. Une brochure désespérée protesta,