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dans les variations mêmes de ces hautes lignées théologiques, où les générations successives ne se ressemblaient entre elles que par la dignité de vie et la piété.

Professeur de dogmatique depuis 1705, Turrettini présida, en juin 1706, la réunion de la Compagnie dans laquelle fut mitigée la teneur des formulaires ; ils ne furent plus signés comme « règle de foi, » mais comme règle d’enseignement. Désormais les pasteurs s’obligèrent seulement à ne rien introduire dans leurs prêches qui ne fût conforme à la Confession de foi et au catéchisme ; et le Modérateur, en recevant leur serment, devait profiter de l’occasion pour les exhorter à ne rien enseigner contre les canons de Dordrecht, mais cette exhortation, paterne et platonique, n’enchaînait plus la conscience de ceux qui l’écoutaient, ni même de celui qui l’adressait.

Dix-neuf ans plus tard, le même Turrettini était modérateur de la Compagnie, lorsque, faisant un pas de plus, il décidait avec ses confrères que tout formulaire serait à l’avenir supprimé, et que dorénavant on demanderait seulement aux pasteurs, en vertu des ordonnances de 1576 : « Protestez-vous de tenir la doctrine comme elle est comprise dans les livres du Vieux et du Nouveau Testament, de laquelle doctrine nous avons un sommaire dans notre catéchisme ? »

Le théologien Bénédict Pictet, qui, par ses édifians sermons, plus soucieux d’enseignement, moral que d’enseignement doctrinal, annonçait déjà les tendances du XVIIIe siècle, n’avait pourtant pas assisté sans tristesse aux premières victoires de Jean-Alphonse Turrettini : « Prenez garde, prophétisait-il, on vous ôte la formule : Ainsi je pense ; puis on enlève les mots : Ainsi j’enseigne, et l’on dit qu’il faudra se contenter de ceux-ci : Je n’enseignerai rien de contraire. Sans doute à présent on ne veut plus rien au-delà. J’appréhende pour la suite ; je vois que les exhortations seront inutiles ; on attaquera le Synode de Dordrecht, les confessions de foi. Je crains l’établissement de l’arminianisme et je redoute même des choses plus graves ; les esprits du siècle sont extrêmement portés à la nouveauté. »

Les pronostics de Pictet avaient pu retarder l’œuvre de Turrettini, mais ils ne l’avaient pas effrayé. Il avait attendu, peut-être, que Pictet fût mort, pour porter aux formulaires le dernier coup de sape, mais c’est d’une main tranquille et sûre qu’il l’avait asséné. La Genève où on lisait Locke, où l’on