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chaires de théologie, on n’osait plus parler ; elles perdirent, peu à peu, plus des deux tiers de leurs étudians ; et, dans le secret de leur maison, les théologiens les plus affranchis osaient distribuer à certaines oreilles, courageuses elles-mêmes, une doctrine plus large.

En 1674, quelques échos de ces réunions occultes parvinrent à la conférence des cantons évangéliques de la Suisse ; et François Turrettini, de Genève, fut chargé de rédiger, avec quelques autres, une formule nouvelle, qui s’imposerait, en Suisse et dans Genève, à toute âme réformée. Ce Consensus de 1678 ajouta son poids aux formulaires précédens ; il maintenait que la médiation du Christ ne s’était point exercée pour tous les hommes, mais pour quelques-uns seulement, et lorsque, après la révocation de l’Edit de Nantes, de nouveaux pasteurs français viendront à Genève, ils seront invités à signer le Consensus.

Le Genevois du XVIIe siècle devait croire- que le Christ avait assisté le Synode de Dordrecht, comme le Savoyard son voisin savait, d’une foi sûre, que le Christ avait assisté le Concile de Trente. L’idée d’une autorité religieuse presque absolue s’affichait et s’exposait dans une partie de l’Europe protestante, sous les auspices de Genève. De plus en plus Genève se faisait Rome, pour mieux lutter contre Rome ; elle contredisait et démentait implicitement les principes mêmes qui l’avaient détachée de l’unité catholique, voulant empêcher à tout prix que le flot des opinions protestantes ne devînt une eau trouble, dans laquelle Rome aurait pu pêcher les âmes inquiètes, éprises de fixité.


V

Un grand émoi s’éveilla, dans les conseils de Genève, lorsqu’on apprit, un jour de 1678, que Rome était aux portes. Le roi Louis XIV voulait installer un résident sur les bords du Léman, et ce résident prétendait se faire dire la messe. Pour la première fois depuis Calvin, Genève se voyait mise en demeure de supporter, devant Dieu et devant les hommes, des cérémonies « idolâtriques. » Elle écrivit à l’Etat de Zurich, à celui de Berne, pour dire ses alarmes. Elle avait peur de Dieu, — peur de son Dieu, du Dieu de la cité, — si elle permettait la messe ; et du Grand Roi, si elle refusait ; c’étaient deux puissans Dieux. Le premier syndic, recevant M. de Chauvigny, s’efforça de le fléchir :