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L’ALSACE À VOL D’OISEAU.

pyramide le mont de Sainte-Odile. Le rocher, qui supporte le couvent, surgit des pointes de la futaie entre trois abîmes. C’est-là peut-être l’aspect le plus imposant, le profil le plus significatif du vieux sanctuaire gallo-romain et celto-chrétien, qui renferme tant d’émotion latente.

Après une halte d’une heure sur la terrasse de l’hôtel Saint-Jacques, nous attaquâmes la pyramide boisée qui gagne le sommet en zigzags. Je m’extasiais sur la vitalité agile de mon jeune ami. Il montait entre les sveltes fûts de sapins, comme un chevreuil, et j’avais quelque peine à le suivre. Son esprit remuant s’impatientait de mon calme. Tandis que le spectacle de la nature suscitait chez moi les images du passé et m’ouvrait la route des rêves, le paysage fouettait chez lui l’inquiétude du présent et le désir ardent de l’action. Nous passâmes près de la source célèbre, que, selon la légende, la sainte fit jaillir d’un rocher de grès rouge, pour guérir un aveugle.

— Voyez, dis-je, elle est toujours aussi cristalline. Celle-là ne changera jamais.

Il répliqua : — Je ne puis plus y boire, en pensant qu’elle appartient à nos ennemis.

Des marches taillées dans le roc conduisent au couvent, à travers de vieux érables. Nous le laissâmes à notre droite, pour longer en pleine forêt la haute muraille qui conduit au Mur Payen. On grimpe un escalier aventureux, à l’angle d’un rocher, et l’on se trouve subitement à l’intérieur de l’enceinte cyclopéenne, à l’air libre, sur le plateau de la Bloss, couvert de bruyères et de petits bois. Mon compagnon, toujours avide du but, bondissait devant moi, sur le sentier qui serpente, descend et remonte, entre les blocs déjetés et les buissons. À droite, ondulait la vaste lande ; à gauche, entre les pointes des sapins sortant de l’abîme, bleuissaient les lointains de la plaine. Un vent frais courait sur nos têtes.

— Ici, m’écriai-je, nous trouverons la paix et la liberté. On boit de l’espace, on respire du ciel.

— Et moi, dit mon avant-garde impétueux, je ne respire que du feu qui brûle mes poumons. Regardez ce poteau indicateur avec ses caractères allemands. C’est la marque de nos maîtres… nous ne sommes pas chez nous ici !

À ce moment, nous atteignîmes de plain-pied la roche granitique du Menelstein. C’était la cime.