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Israélites, vinrent aussi combattre à nos côtés pour le droit et la liberté des peuples. — Quand la volonté de l’Allemagne précipita la Turquie dans la lutte, non seulement les Arméniens et les populations non turques, mais aussi un très grand nombre de patriotes turcs, en éprouvèrent une profonde douleur. Les Arméniens du Caucase, réfugiés en terre russe depuis les massacres de 1895, demandèrent en foule à entrer dans l’armée du Tsar et formèrent des corps d’éclaireurs pour la délivrance de leurs frères opprimés. Les Arméniens de l’Empire ottoman gardèrent une attitude attristée, mais loyale. Ils se laissèrent, sans murmurer, dépouiller par le gouvernement qui leur demanda des contributions pécuniaires trois fois plus fortes que celles qu’ils auraient dû légalement payer. Le nombre de ceux qui désertèrent fut minime, quoique le Gouvernement ait pris dès le début, vis-à-vis de la population arménienne, des mesures illégales et oppressives. La loi n’appelait, sous les drapeaux, parmi les populations chrétiennes, que les hommes de vingt à trente-cinq ans ; or, par une mesure arbitraire, — qui révèle l’intention déjà arrêtée de priver la population arménienne de tous les hommes valides pour l’exterminer ensuite sans résistance, — les Arméniens de dix-huit à quarante-huit ans furent enrôlés. On en forma des détachemens de travailleurs qui ne reçurent pas d’armes mais furent astreints aux plus durs travaux, en butte aux insultes et aux mauvais traitemens de leurs chefs et de leurs camarades turcs ; déjà il était difficile de dire si ces malheureux étaient des soldats appelés à défendre une patrie qui n’avait jamais rien fait pour gagner leur confiance, ou s’ils étaient des otages, presque des condamnés. La presse turque commença une campagne contre les Arméniens, les accusant, de trahison, d’espionnage et de rébellion. On leur fit des procès de tendances. « La figure des Arméniens est le baromètre de la situation, écrivait le Karagheuz ; lorsqu’elle est radieuse, c’est que les affaires des Alliés vont bien ; lorsqu’elle est assombrie, c’est qu’elles vont mal. » On préparait peu à peu l’opinion aux drames qui allaient ensanglanter l’Empire.

Malgré tant de symptômes alarmans et d’actes arbitraires, il n’y eut pas de soulèvement en Arménie. Mais quand les Russes, franchissant leurs frontières, pénétrèrent dans la région de Van, les habitans les accueillirent comme des libérateurs. Aussitôt, dans toute l’Arménie, les massacres