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Arméniens deviendraient ainsi les pionniers de l’influence allemande. Nulle trace de violence, ou même d’antipathie pour les Arméniens, dans la proposition de Rohrbach ; les Arméniens y trouveraient leur intérêt, et aussi les Turcs, sans compter les Allemands. L’idée fit son chemin. Nous verrons comment les Turcs l’adoptèrent et l’appliquèrent à leur manière. Là encore, la responsabilité allemande est à l’origine des forfaits turcs : méthode allemande, travail turc.

Les intérêts des Allemands s’harmonisaient à merveille avec les haines séculaires des Turcs.

Il ne saurait être question de refaire ici, même en abrégé, la douloureuse histoire des relations des Turcs avec les Arméniens. Elle n’est que trop connue. De tous les peuples qui habitaient l’Anatolie avant la conquête turque, les Arméniens seuls ont survécu. Ils l’ont dû à l’asile de leurs montagnes, à leur énergie prolifique, à leur intelligence. Mais, chaque fois que des perturbations graves ont agité l’Empire ottoman, les Arméniens en ont été les victimes. Plus la puissance des Turcs s’est affaiblie, plus ils sont devenus des maîtres intolérans et persécuteurs. Les Turcs haïssent les Arméniens pour leur religion, pour leur supériorité intellectuelle et leur aptitude à une culture plus affinée, pour leur habileté au négoce et aux métiers lucratifs. L’Arménien, pour le Turc paresseux, pour le Kurde nomade et pillard, est la proie naturelle, périodiquement offerte à ses convoitises ; dès que le sous-préfet et le gendarme donnent le signal ou seulement ferment les yeux, la saturnale commence : pillage, orgie, massacre.

On sait l’histoire des massacres de 1895-1896. Le sang des victimes était à peine séché, les cendres des églises détruites étaient à peine refroidies, que Guillaume II entreprenait son théâtral et fructueux voyage en Palestine et à Constantinople, mettait sa main impériale dans celle de son « ami » le sultan Hamid et se proclamait à Damas le protecteur des musulmans.

L’Arménie commençait, avec sa résignation et son énergie traditionnelles, à respirer et à se remettre au travail, quand survint la révolution de 1908. Les Jeunes-Turcs ne la firent pas, — il est bon de le rappeler, — sans une entente préalable et un accord complet sur le programme avec les Comités arméniens. La révolution devait inaugurer le règne de la loi et de la liberté. Les Arméniens accueillirent le nouveau régime avec joie, avec