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les composent, mais le sapin règne en maître sur les hauteurs et les couvre de ses masses compactes. Lorsque à ses sombres pyramides le hêtre mêle son feuillage doré, et le bouleau ses fines ramures d’argent avec sa chevelure transparente, alors seulement la forêt vosgienne déploie sa grâce et sa majesté. Mais il faut pénétrer dans le labyrinthe des sous-bois, pour comprendre le charme et soupçonner la vie intime de la forêt.

Ô forêts ! bois profonds ! solitudes ! asiles !

s’écrie Victor Hugo comme pour s’élancer, en quatre bonds, dans leur plus secret mystère. Et Baudelaire ajoute, saisi d’un frisson religieux :

Forêts, vous m’effrayez comme les cathédrales !

C’est que la forêt de sapins est une cathédrale, en effet. Colonnades à perte de vue ; branches retombantes en pendentifs ou croisées en ogives ; trouées d’azur éclatantes comme des vitraux peints ; flèches de soleil qui percent les aiguilles et jettent des losanges d’or sur les herbes folles. Sur les tapis de mousse, les feuilles luisantes du houx s’allument comme des candélabres, les fougères en éventail s’étalent comme des rosaces vertes. Et les nefs se prolongent à l’infini sur le sol inégal. On monte et l’on descend, pour remonter encore. On s’égare entre ces piliers innombrables, sans jamais trouver l’abside et le chœur de cette église sans limite.

Mais ne vous contentez pas de regarder, écoutez aussi. Car ces nefs ont leur musique, ces dômes ont leurs chants. Les forêts sont un vaste orchestre, qui a pour maître l’atmosphère et pour musiciens les vents. Ils y jouent de merveilleuses symphonies. Des Dieux passent dans leurs harmonies et dans leurs silences. Lorsqu’en automne, les tempêtes de l’équinoxe s’abattent sur les vieux hêtres, déjà dépouillés de leurs feuilles, qui avoisinent le Hohwald et le Champ-du-Feu, on croit entendre mugir un orgue géant. Le son roule, de bas en haut, à travers tous les registres du formidable instrument, depuis la basse ronflante jusqu’aux sifflemens aigus. On dirait la voix de Tarann, le Dieu de la guerre, qui souffle dans sa trompe et soulève tout un peuple. Mais, au printemps, quand des milliers d’insectes bourdonnent autour de l’érable et du chêne, quand la chaleur