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chose est certaine pourtant, c’est que, dans aucun domaine relevant de la pensée, l’Allemagne n’a produit de grands hommes comparables à ceux qu’elle eut jadis, depuis que ses succès de 1870 ont enlizé toutes ses énergies dans l’activité militaire. Pour ne prendre qu’un exemple, ce pays qui fut jadis le temple même de la musique, n’a pas produit un grand musicien depuis cinquante ans, il n’en a même pas produit qui soient comparables à ceux qu’ont vus en cette période les pays qu’elle dépassait jadis dans ce domaine, la France, l’Italie, la Russie. Il en est de même en littérature : pas un écrivain vraiment génial n’est apparu en Allemagne depuis 1870. Dans les sciences, malgré la multiplication des laboratoires et des chaires, on y a vu surgir des talens, des expérimentateurs heureux, mais aucun grand cerveau, aucun nom comparable à ceux de la période précédente, aux Helmholtz, aux Gauss.

La vérité est que les États exclusivement militaires ne peuvent échapper à leur destin, qui est de périr comme Sparte et Ninive. La culture exclusive de la force brutale se fait au détriment de la force intellectuelle. La première doit servir seulement à protéger et à développer la seconde ; elle doit être un moyen et non une fin. Dans les États militarisés à l’excès, dans l’Allemagne actuelle c’est le contraire qui a eu lieu.


CHARLES NORDMANN.