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de l’autre côté du Rhin. Les Cujas, les du Cange, les Budé, les Estienne, les Scaliger, les Dolet, les Muret, les Barthélémy, etc., ont fondé et pratiqué toutes ces sciences profondes : linguistique, grammaire, archéologie, paléographie, épigraphie, etc, sur lesquelles la botte prussienne s’est lourdement posée sans en pouvoir effacer l’empreinte initiale et française.

On pourrait continuer cette énumération. On ne l’achèverait même pas en considérant l’histoire de la toute moderne Allemagne. Il n’est pas jusqu’à la bière allemande, cette liqueur que nos ennemis croient la plus germanique des choses germaniques et dont ils se gonflent éperdument comme du suc même de leur patrie, il n’est pas jusqu’à leur bière qui ne soit fabriquée partout en Allemagne avec les procédés découverts par le Français Pasteur.

Si donc il y a une science allemande qui ait produit quelque chose d’utile, c’est parce qu’il y a eu d’abord une science française. Nos ennemis oublient un peu trop cette filiation. Il est vrai que la gratitude filiale n’est pas la vertu dominante dans la famille de leurs tyrans.

Goethe opposait déjà la méthode française aux façons allemandes. « Nos savans, dit-il, sont des orgueilleux qui voient en tout la supériorité de leur génie individuel et du génie national en général. Le langage des Français est net, clair, hardi, contrairement à celui de nos Allemands qui haïssent quiconque ne pense pas comme eux. » Voilà défini en quelques mots le caractère de l’esprit germanique ; il se développera et deviendra germanolâtrie et haine sous l’impulsion savamment organisée de la Prusse.


De quel droit en effet les Allemands, et plus spécialement leurs mentors prussiens, osent-ils, après ce que nous venons de voir, se prétendre les possesseurs de toutes les supériorités, et surtout de la suprématie scientifique ? C’est tout simplement du droit du plus fort. Car ces prétentions ne sont venues à la Prusse qu’après la victoire de 1866.

Ayant bouté dehors l’Autriche, elle a façonné l’Allemagne à son image, instauré sa discipline brutale, imposé son esprit avide des conquêtes matérielles et « faussé » les esprits, dans le dessein avéré d’asseoir sa domination. Elle y a employé l’enseignement primaire et supérieur, les philosophes, les prédicateurs, les historiens, les