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pourrions trouver ces réclames en plein vent un peu puériles, ces parades sur tréteaux un peu tapageuses, ces processions un peu théâtrales. Mais il faut remarquer que, même en temps normal, ces sortes de manifestations font partie de la vie anglaise ; il suffit, pour s’en rendre compte, de s’arrêter dans Hyde-Park devant les plates-formes où des orateurs improvisés de tout âge, de toute condition, de l’un et l’autre sexe, pérorent et parfois non sans éloquence, sur les sujets les plus divers et les plus hétéroclites, toujours écoutés avec le plus grand sérieux par les auditeurs bénévoles, tant le respect des libertés de la rue est ancré dans les mœurs.

N’oublions pas non plus que l’Angleterre est le pays des meetings, et des grandes manifestations que permet la discipline admirable de la foule anglaise[1]. Qu’on juge de l’impression profonde exercée sur les esprits, quand le sujet des discours est le maintien des libertés britanniques, et le but des manifestations le recrutement des défenseurs de l’Empire. Il n’est pas rare qu’à ces meetings, un télégramme de lord Kitchener soit lu au milieu du plus grave recueillement, comme au dernier meeting de Southampton tenu le 12 octobre. « Des hommes sont nécessités d’urgence pour compléter les unités et les départs au-delà des mers. Tout effort doit être fait pour amener (induce) les hommes à rejoindre. »

Les argumens développés par les recruiting officers ou les orateurs se ramènent aux suivans :

— La destruction de la Belgique et son oppression systématique ne seraient que de pâles images à côté des ruines et des massacres qui attendraient l’Angleterre envahie, depuis que le refrain allemand s’entend sur toutes les bouches : « Dieu punisse l’Angleterre ! »

  1. Il nous souvient avoir vu, il y a quelques années, se dérouler dans les rues de Londres un cortège de hopgrowers (cultivateurs de houblon), près de 50 000 manifestans, hommes et femmes, réclamant des droits sur les houblons d’Amérique, dont la libre entrée allait ruiner la culture houblonnière anglaise. Dans cette colonne imposante que précédait gravement une locomobile enguirlandée ouvrant la marche, 200 policemen à cheval suffirent à maintenir en ordre parfait cette armée de pauvres gens, menacés pourtant dans leurs conditions d’existence, mais résignés et non révoltés. Seules les inscriptions de leurs bannières faisaient entendre leurs émouvantes protestations : « Nous demandons à ne pas mourir, » ou bien : « Sauvons les houblons de la vieille Angleterre. »
    Une telle manifestation, à Paris, aurait exigé la mobilisation de toute la garnison et la mise sur pied de toutes les forces de police.