Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/396

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se soit pas fait grande illusion sur sa valeur et en tous cas se soit rendu compte de sa précarité, puisqu’il la déclarait « nécessaire et suffisante pour mettre le pays quelque temps encore à l’abri de la conscription. »

On conçoit qu’organisées sur ces bases étroites et fragiles, les forces militaires britanniques n’auraient apporté qu’une participation illusoire à la grande guerre continentale qui mettait sur pied des millions d’hommes.

Il n’existait pas de grandes armées anglaises et il fallait les créer. Tout en assurant le ravitaillement du corps expéditionnaire une fois débarqué, il s’agissait de trouver des hommes, de leur donner l’instruction et l’entraînement nécessaires pour en faire des soldats, du matériel de guerre pour les équiper, des chefs pour les encadrer et les conduire : tâche écrasante qui fut confiée aux robustes épaules de lord Kitchener. Or, selon les principes du voluntary System dont le chef du War Office restait partisan convaincu, et l’Angleterre n’ayant aucune loi militaire, il fallait, pour trouver des hommes, les chercher, les attirer, les poursuivre au besoin, leur montrer la grandeur du péril et la noblesse de la cause, pour les émouvoir et les convaincre, les tenter enfin par les avantages matériels de l’enlistment pour les décider.

Avec une ingéniosité et une variété de moyens des plus curieuses, toutes les combinaisons furent employées. Les recruiting offices, bureaux qui fonctionnaient déjà en temps de paix, furent multipliés dans tout le Royaume-Uni. Des tableaux militaires impressionnans, des visions de guerre tragiques placardés partout vinrent obséder et comme violenter les regards ; une gigantesque campagne d’affiches s’ouvrait par un débordement d’images pathétiques soulignées d’appels éloquens, ayant pour thème : « Venez, garçons, dans les Flandres aider les camarades ; — Votre roi et votre pays ont besoin de vous. » Sur une plateforme érigée en permanence à Trafalgar-Square au pied de la colonne de Nelson, des officiers, des soldats, des blessés revenant du front, des médaillés pour faits de guerre s’adressant à la foule, engageaient les hommes valides à rejoindre immédiatement. Des gradés décorés de la Victoria Cross, cette distinction militaire si enviée et accordée pour bravoure exceptionnelle (conspicuous gallantry), étaient promenés en voiture dans les rues de Londres, accompagnés d’officiers recruteurs ; et ceux-ci