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Dès lors, mettant sa confiance unique et entière dans la flotte britannique, l’école faisait fi de tout développement des forces terrestres, et elle ajoutait :

Si la flotte anglaise nous protège victorieusement contre toute invasion, une armée de défense terrestre ne sert de rien. Si, au contraire, la flotte succombe, si la maîtrise de la mer passe en d’autres mains, l’ennemi n’aura plus besoin de débarquer ni de nous envahir. Comme les Iles Britanniques ne peuvent vivre sur elles-mêmes, il les réduira è merci en les isolant, et nous mourrons de faim, même avec une armée d’un million d’hommes, impuissante à défendre le sol contre l’asservissement. Dans l’un comme dans l’autre cas, à quoi servirait une armée nombreuse et coûteuse ? Conclusion : Hurrah pour la marine anglaise et en avant pour la construction des Dreadnought !

On comprend qu’une telle conception de la défense nationale ait longtemps rallié la grande majorité de l’opinion, puisque, se fondant sur le fameux privilège de l’insularité, elle flattait l’orgueil britannique en réclamant la création d’une flotte de plus en plus puissante, et aboutissait à conjurer le spectre redouté de la conscription.

À cette théorie s’opposait celle d’un certain parti militaire, représenté par la National Service League, présidée par le vieux feld-maréchal lord Roberts. L’École des eaux bleues, disait-elle, se trouve en défaut sur un point essentiel : raisonnant comme si l’Angleterre n’avait d’autre danger à redouter que l’invasion de son sol, elle négligeait le point de vue continental. Elle oubliait qu’historiquement même, la véritable défense de l’Angleterre a toujours été sur terre, que si Aboukir et Trafalgar sont les colonnes du temple de la puissance anglaise, Waterloo est le couronnement de cet édifice, que si Nelson a sauvé l’Angleterre, c’est Wellington qui l’a faite invincible. Grâce à l’illustre marin, elle a su demeurer une île inviolée depuis les temps millénaires de la conquête normande ; mais elle doit à l’Iron Duke et à ses victoires terrestres d’être restée, au cours du XIXe siècle, la grande puissance mondiale. D’ailleurs, la politique traditionnelle anglaise a toujours