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demandée par l’avocat de l’inculpé avec l’exposé des motifs et peut toujours être refusée par le juge lui-même[1]. La loi anglaise décide en outre qu’une action en dommages-intérêts peut être exercée contre l’auteur d’une détention arbitraire, admirable garantie où se retrouve l’esprit pratique du peuple anglais et la seule efficace contre l’omnipotence du juge.

Cet attachement à la liberté individuelle se retrouve dans toutes les circonstances de la vie politique ou sociale anglaise. En voici un curieux exemple.

En décembre 1912, une grève de Railwaymen éclatait dans une compagnie de chemin de fer anglaise pour un motif des plus originaux. La Compagnie avait révoqué un mécanicien, à l’abri de tout reproche dans le service, mais qui avait eu le tort de s’enivrer à domicile : elle invoquait non sans raison le danger que pouvaient faire courir aux voyageurs de telles habitudes d’intempérance. Les Railwaymen ripostaient en proclamant le droit à l’ivresse à domicile, comme faisant partie de la liberté individuelle. En dehors du service dû à la Compagnie, disaient-ils, nous sommes libres de nos personnes et de nos actes, donc de nos vices. D’où conflit aigu qui ne put être résolu que par un compromis.

Plus récemment, lors des grèves déplorables qui, à la grande joie de l’Allemagne, et en pleine crise des munitions, éclatèrent chez les mineurs du pays de Galles, certains meneurs furent traduits devant le Tribunal des Munitions et condamnés à l’amende en vertu du Defence of Realm Act. Il s’agit là d’une juridiction et d’une loi d’exception, imposées par les nécessités de l’état de guerre. Cette atteinte au droit de grève, — dont les ouvriers anglais se montrent si jaloux, — leur parut si sensible que, comme condition de la reprise du travail, les mineurs exigèrent l’annulation des jugemens et la remise des amendes. M. Runciman, président du Board of Trade, et M. Lloyd George lui-même durent capituler.

On conçoit que le citoyen anglais tienne par-dessus tout à une liberté individuelle si ancienne, si traditionnelle, si fortement garantie par les lois, si ancrée dans les mœurs, si

  1. On se rappelle le cas de Mrs Pankhurst, la notable suffragette, arrêtée comme complice d’un attentat à la dynamite commis chez M. Lloyd George, qui fut mise en liberté sous caution moyennant une caution de cinq cents livres. Et pourtant on se trouvait là en matière criminelle.