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humainement prévues a rendu inévitable l’adhésion de la libre Angleterre au système continental de la nation armée.


En dehors de toute raison d’égoïsme, le citoyen anglais était demeuré foncièrement hostile à l’obligation militaire pour plusieurs motifs, dont le premier, le plus puissant, reposait sur son attachement passionné à la liberté individuelle. On se heurtait ici à un préjugé ancré profondément dans les esprits et dans les mœurs. Par-dessus toute chose, l’Anglais redoutait la conséquence inévitable du service militaire : l’encasernement ; ce régime lui semblait non seulement une contrainte, mais une punition, et il considérait très exactement les barracks comme une prison.

S’il regarde la liberté individuelle comme le plus précieux des biens, c’est qu’il la possède depuis des siècles, avec des garanties qui ne rencontrent d’équivalens chez aucune nation.

Alors que nous avons péniblement conquis, il n’y a guère plus de cent ans, et acheté avec beaucoup de sang cette liberté essentielle, le citoyen anglais s’en trouve nanti depuis sept siècles.

C’est le 15 juin 1215, en effet, qu’un statut de la Grande Charte imposée par les seigneurs anglais au roi Jean sans Terre, déclarait : « qu’aucun homme libre ne serait arrêté, ni emprisonné, ni atteint en aucune façon, si ce n’est en vertu d’un jugement régulier rendu par ses pairs et selon les lois du pays. » En même temps, vingt-cinq barons nommés à l’élection, gardiens et conservateurs des conventions, avaient le droit après jugement de confisquer les terres et les châteaux du Roi, si ce dernier violait la Charte.

Quatre siècles plus tard, ces garanties de la liberté individuelle anglaise se voyaient renforcées par le fameux habeas corpus Act, voté le 26 mai 1679 sous le roi Charles II. En vertu de cette loi célèbre, tout sujet anglais, arrêté pour un motif quelconque, peut réclamer un writ d’habeas corpus, qui lui donne le droit d’être amené devant le juge dans un délai très court. Le magistrat peut ordonner ou le maintien de l’arrestation, ou l’élargissement définitif, ou la mise en liberté sous caution. Or, celle-ci est de règle dans la procédure anglaise, tandis qu’en France elle demeure encore l’exception, doit être