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paralysées en leur entier par des retranchemens, comme sont depuis plus d’un an déjà celles qui se regardent par-dessus le front occidental. Et l’on va s’écrier : « La protection triomphe définitivement de l’attaque. » Il se trouvera même des gens pour ajouter que la guerre en va devenir impossible. D’autres enfin se demanderont pourquoi l’on ne s’est pas avisé depuis longtemps de ce pouvoir merveilleux des tranchées, qu’on était à même de creuser au temps jadis, aussi bien qu’à présent.

Si elles résistent victorieusement aux armes actuelles, qu’eût-ce été vis-à-vis des vieux fusils et des canons impuissans ? Et n’eussent-elles pas rendu invincible l’armée assez bien inspirée pour s’y abriter, il y a quarante ou cinquante ans !…

Tout le monde sait comment sont faites les tranchées. Il était facile en effet d’en établir. Est-ce seulement faute d’y penser qu’on a préféré la lutte de mouvement en rase campagne ? Nous ne déciderons pas cette question ; c’est affaire à de plus hautes autorités. Peut-être l’insuffisance des effectifs, en empêchant de barrer toute la ligne des frontières, rendait-elle la tranchée inefficace. Car le front fortifié risquait d’être tourné par les ailes. En tout cas, on se trompe en attribuant à la prépondérance de la protection inerte le phénomène auquel nous assistons.

Il coïncide au contraire avec une faillite de la protection. Les places fortes, où l’on avait accumulé les défenses les plus formidables, ont à peine tenu quelques jours, lorsqu’elles s’en sont fiées à leurs remparts bétonnés et à leurs coupoles d’acier. L’obus moderne à grande capacité d’explosif écrase tout, disloque tout. Aucun ouvrage permanent n’est capable de supporter son feu.

Cependant l’élan ennemi s’est brisé contre Verdun. Il n’a jamais pu franchir nos lignes improvisées de Belfort à Nieuport. Le retranchement résiste, et presque aussi bien quand il consiste en un simple sillon gabionné, mais profond, que dans ses plus orgueilleux bastions. Sa vertu n’est donc pas tant dans le bouclier qu’il forme que dans la puissance des armes qui s’y appuient.

Elle est dans les deux ensemble. Pourquoi ne peut-on franchir l’intervalle des lignes ? On le pouvait autrefois. L’élément nouveau, c’est l’impossibilité de progresser en terrain découvert sous le feu des balles. Le fusil à tir rapide et la mitrailleuse ont fait l’inviolabilité des tranchées. Celle-ci résulte des forces