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Elle a décidé le sort de beaucoup d’actions acharnées. Encore est-elle trop longue pour l’étroit champ de carnage des tranchées. Le fusil gêne nos grenadiers pour lancer leurs pétards, pour ramper entre les lignes, pour couper les fils de fer. On les arme plutôt d’un long poignard, d’un vrai « surin, » fixé à la ceinture. Si le fusil mitrailleur détrône notre porte-baïonnette, qui sait si une lance légère, s’attachant sur le dos, ne consacrera pas la séparation définitive des deux outils de mort. Il ne manque plus qu’un bouclier, pour que nous retrouvions le combattant de l’Iliade.


V

Passons sur les projections de liquide enflammé, poussé dans les tranchées par des pompes à incendie ; sur les fumées asphyxiantes et autres applications accessoires de la science à l’art de détruire. Le premier procédé n’a pas l’efficacité des torpilles aériennes ; le second suppose un vent favorable. Ce sont en particulier des vapeurs de chlore et de brome ou d’autres gaz que nous n’avons pas à désigner, qui sont lâchées en avant d’un front, de manière à former un nuage bas, roulant sur l’ennemi. On s’en protège avec des masques, filtrant les vapeurs au travers d’un tissu spongieux, imprégné par exemple d’hyposulfite de soude[1]. Tout produit pouvant être dangereux pour ceux qui l’emploient est d’un avenir limité. Et, s’il existe pour eux un moyen de préservation, l’ennemi ne manquera pas d’en faire usage aussi. Ne nous en fions pas aux artifices trop faciles. La défensive se développe en même temps que l’offensive ; elle répond à ses progrès par des progrès égaux, qui ne sont bien souvent que la conséquence des mêmes faits. Ainsi l’équilibre est en quelque sorte l’effet d’une loi fatale.

Mais cet équilibre n’est pas immobile. Il penche tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, avant de revenir à l’équivalence plus ou moins parfaite. Or, aujourd’hui, c’est plutôt la défensive qui parait l’emporter. Voyez les tranchées : elles barrent tout le front d’un obstacle infranchissable. Jamais armées n’auront été

  1. L’emploi le moins périlleux des vapeurs nocives consiste à les faire dégager des obus lorsqu’ils explosent ; mais les masses dégagées sont alors insuffisantes.