Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/277

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cérémonieuse du personnage avait déçu le visiteur, écrivain du plus grand mérite, et extrêmement simple dans ses manières.

Les gens de lettres, de passage à Paris, se plaignent d’être reçus négligemment, ou même de ne pas être reçus du tout par nos auteurs en renom, que cependant ils admirent, qu’ils vantent, à qui ils consacrent des articles dans les journaux de leur pays. Un romancier des plus en vue m’avouait sa rancœur de n’avoir pu franchir le seuil d’Anatole France. Je dus excuser de mon mieux l’illustre académicien : « C’est un homme d’âge, avide de repos et de tranquillité. D’ailleurs, chez nous, il est admis que M. Anatole France ne fait ni ne reçoit de visites. » Nous passâmes à un autre sujet. Nous discutâmes les talens de quelques littérateurs espagnols, et, comme mon hôte avait prononcé le nom d’un dramaturge, célèbre là-bas, je m’empressai de lui déclarer que le grand dramaturge non plus ne m’avait pas fait l’honneur de me recevoir :

— Eh bien ! me dit-il sèchement, c’est notre Anatole France !

Ces vétilles, on ne saurait trop le répéter, ont plus d’importance que nous ne pensons. Mais ce que ces écrivains nous reprochent le plus, c’est de les ignorer eux-mêmes. En quoi, nous sommes vraiment de grands coupables. Car, parmi les littératures vivantes, nulle n’est plus riche, ni plus originale que la littérature espagnole. Eux, ils connaissent, en général, fort bien la nôtre. S’ils la placent très haut, ils se piquent d’en savoir aussi le fort et le faible. Ils ne nous épargnent pas les critiques, même les plus acerbes.

Il convient peut-être d’y insister, car cas critiques décèlent des différences foncières de tempérament, qui ont, ici, leur signification. Rien ne les choque plus, chez nos auteurs à la mode, que le manque de bonhomie, l’affectation salonnière et mondaine, le faisandage psychologique, le factice, le chiqué des cénacles littéraires. Il est certain qu’ils sont plus naturels que nous, plus spontanés, plus près de la vie. S’il y a dans le clan conservateur, quelques écrivains qui s’appliquent à imiter notre néo-classicisme, les autres en réprouvent la sécheresse et les artifices de forme. En général, pour eux, notre littérature a quelque chose de trop extérieur, et aussi de trop fini, de trop arrêté et de trop symétrique dans la composition. La prolixité anglaise ou russe leur plaît davantage, ou alors l’aimable