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opposée aux principes généraux de notre démocratie, comme à l’esprit de la France moderne, au moins de celle qui se dit émancipée et qui prétend « vivre sa vie. » Ils censurent la corruption de nos mœurs, nos scandales publics et privés, la licence et jusqu’à la malpropreté de nos rues. Ils blâment ou ils plaisantent notre débraillé démocratique, notre manque de tenue, le négligé, l’attitude peu martiale, les formes souvent inciviles de nos gendarmes, de nos douaniers, de nos employés de chemin de fer. Ils ne nous passent rien : la moindre incorrection est âprement relevée. Mais surtout, ils ont peur pour eux-mêmes de la contagion de nos mauvais exemples, de nos idées subversives. Même en supposant que cette contagion soit rendue impossible, grâce aux mesures prophylactiques les plus radicales, la France, — disent-ils, — n’en resterait pas moins l’ennemie héréditaire de l’Espagne. La décadence de celle-ci a commencé avec le triomphe de celle-là. Et l’on rappelle les guerres de Louis XIV, l’invasion napoléonienne. On nous apprend que le souvenir de Napoléon est toujours un épouvantail pour les imaginations populaires. Tous les ans, dans un grand nombre d’églises, à date fixe (c’est le 2 mai, si je ne m’abuse), il se prononce un sermon traditionnel, où l’Empereur des Français est représenté comme un monstre d’ambition et d’impiété, justement châtié par le ciel.

Ces vieilles haines recuites, ces préventions, ces malentendus, ces divergences d’idées et de tempérament, et aussi les vagues désirs de revanche qui travaillent l’âme espagnole depuis la malheureuse campagne de Cuba, — tout cela s’est concrète dans le fameux discours que prononça, l’été dernier, au théâtre de la Zarzuela, le grand leader carliste, M. Vazquez de Mella. Avec le souci évident de ne pas trop contredire d’autres déclarations anciennes et non moins retentissantes en faveur de la France, l’orateur nous y traite sans trop d’hostilité déclarée, même d’une façon, plutôt indulgente : « Quant à la France, dit-il, nous avons des intérêts relativement antagonistes dans la Méditerranée, parce qu’elle voudrait y être la première Puissance et s’étendre dans tout le Nord africain, et il est évident que ces prétentions contredisent notre propre intérêt. Nous avons été souvent en lutte dans le passé, nous avons été souvent en rivalité et en opposition. Mais ces rivalités et ces luttes que nous avons soutenues avec elle, comme avec