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comprendra trop que nous ne puissions qu’effleurer des questions si délicates. Que cherchent-ils, que complotent-ils, à quelles besognes tortueuses s’emploient ces bandes de Germains désœuvrés ? Espérons qu’on s’en préoccupe, en Espagne, comme chez nous. Il est évident, en effet, que tous, depuis les bonnes d’enfans et les garçons d’hôtel jusqu’aux diplomates et aux officiers supérieurs en villégiature forcée, que tout ce monde-là s’agite démesurément dans l’intérêt de la patrie allemande. Pendant les premiers mois de la guerre, l’ambassadeur d’Allemagne, le prince de Ratibor, se montrait partout, en véritable racoleur de l’opinion. Il assiégeait les ministères, le verbe haut, les façons brusques et autoritaires. Il paraît que, depuis, il a mis une sourdine à ce zèle envahissant. Mais sa propagande, pour être moins personnelle et moins ostentatoire, ne s’est pas ralentie pour cela. Elle continue son œuvre à la Cour, comme dans l’armée. Encore une fois, il m’est difficile d’apporter ici des précisions. Tout au plus oserai-je risquer une simple interrogation sur un point particulier : la protection allemande s’étendrait-elle jusqu’à Mouley-Hafid, le sultan détrôné du Maroc, que l’on voit se promener tous les jours, en automobile et avec une suite de souverain, dans les rues de Madrid ? Pour un simple particulier, ce personnage se donne vraiment beaucoup d’importance.

Je sais bien que les Espagnols peuvent répondre qu’ils sont libres chez eux, libres d’accueillir ceux qu’il leur plaît, libres d’écouter le commis voyageur teuton et d’acheter sa pacotille, libres de lire ou de ne pas lire les paquets d’imprimés que les Allemands répandent à profusion dans leur pays. Évidemment, cela les regarde. Bornons-nous à enregistrer les faits, même s’ils sont désagréables pour nous. Or, c’en est un autre, et non des moins pénibles, que les sympathies et les admirations de nos voisins vont de préférence à nos ennemis. Il est inutile de le dissimuler. Cette multiforme invasion allemande, cette mainmise sur une partie de la presse, tout cela est non seulement toléré, mais considéré avec complaisance par un très grand nombre d’Espagnols. Sans doute, il ne faut pas s’exagérer la sincérité des journaux « inspirés, » qui, par avance, acclament le triomphe de la Germanie, — bien que ce soient ceux-là qui fassent le plus de vacarme en Espagne. Mais il est trop évident que les particuliers ne se gênent pas pour manifester des