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à l’instant de mourir, le bonhomme dit au meurtrier : « Tu n’épouseras point Marfa. Le jour de vos noces, toi-même, tu raconteras tout aux juges de ton pays. Je veux ! » Il veut : et il meurt : les loups dévorent son cadavre. Sa volonté lui survit ; sa volonté, quand il est mort, gouverne Lucien, lequel, au jour d’épouser Marfa, sans motif que la volonté du défunt, se dénonce et réclame son châtiment. Remarquons-le, Volkine, grand liseur de grimoires et pourvu d’influences magiques, est en outre affilié aux sectes nihilistes, mêlé à leurs entreprises redoutables : occulte deux fois, précieux héros d’un roman riche en terreur et perplexité.

L’Occulte avait bien réussi à l’auteur de Marfa. Et l’auteur de Marfa se vit en possession d’un excellent ingrédient littéraire. Mais il n’estimait pas que la littérature ne dût être qu’un jeu ; il la voulait véridique : et il accordait à l’Occulte sa créance. Il publia, sous la forme d’une adresse au lecteur de la Bien-aimée, sa « profession de foi. » Le naturalisme a vécu, disait-il. Et c’était au moment où se produisait, dans la poésie et la prose françaises, une réaction très vive contre le positivisme littéraire, contre le roman d’observation pure et simple et contre la poésie d’analyse un peu sèche. Les symbolistes tâchaient d’ajouter à la réalité les idées. Leur tentative parut vague et parut vaine à Gilbert Augustin-Thierry ; et, ce qu’il désirait, ce n’était pas l’indécision : c’était une certitude qui s’étendît plus loin que les timidités positivistes… « Un irrésistible mouvement nous emporte vers ces mystérieux horizons, ces nuées aux ténèbres pourtant lumineuses, où semble se complaire le Grand Inconnu… » Il supplie qu’on interroge l’Au-delà ; et il résume ainsi son évangile : « Credo quia absurdum ! fut l’arrogant défi jeté à la face des sages par ces fous, les messagers de la Bonne Nouvelle ; et l’absurdité même de ce qu’ils annonçaient fit tomber à genoux le vieux monde païen, torturé par le scepticisme. Nous aussi, le doute nous désespère ; mensonge ou vérité, nos cœurs ont besoin de croire, ils souffrent de ne pouvoir plus s’absorber, s’anéantir dans la foi. Eh bien ! l’Occulte est là, prêt à nous accueillir en ses fascinans abîmes. Credo quia absurdum ! Pourquoi donc l’antique et audacieuse devise ne serait-elle pas aujourd’hui la nôtre ? » Il y aurait à discuter cet argument, qui serait périlleux, s’il servait à recommander également toute absurdité : ce n’est pas mon propos. Et l’on peut voir, dans cette déclaration passionnée, plutôt qu’un argument, un défi ou l’honnête rodomontade de la crédulité. Notons une adhésion très nette, et hardie, à la science des Spirites et Occultistes, à leurs assurances et à leurs présomptions.