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possible. Or, aujourd’hui, certains historiens ont si grand’peur d’une méprise qu’ils refusent de rien risquer et, tremblans de précaution publient des « textes. » Il y a quelques années, Gabriel Monod, qui fut l’un des maîtres de la méthode, écrivait, avec une admiration frémissante : « Le plus scrupuleux des critiques, M. Ch.-V. Langlois, a fait un portrait de saint Louis ! » Faire un portrait de saint Louis est une audace. Mais, au bout du compte, il faut se lancer à cette audace : une petite faute dans le portrait de saint Louis serait moins fâcheuse que l’excessive pusillanimité des historiens, laquelle aurait pour dernier résultat de mener l’histoire au néant, de laisser mourir le passé. Il ne vit plus qu’en notre pensée. A force de refuser toute incertitude, nous priverons-nous de toute croyance ? Il est assez remarquable qu’entre les sciences les unes, celles qui sont le moins naturellement des sciences, montrent le plus vif désir de mériter ce titre et, pour l’acquérir, l’austérité la plus sévère. Les sciences véritables ont une liberté meilleure et ne craignent pas l’hypothèse : l’histoire, qui est une science à peine, craint l’hypothèse et, quelquefois, n’évite pas toute espèce de pharisaïsîne. L’histoire ne serait-elle pas simplement l’opinion que se fait du passé le lecteur attentif des documens, le plus habile à y démêler les signes de la réalité importante, le plus adroit à suppléer aux manques de l’information, le plus érudit et le plus imaginatif ensemble, de telle sorte qu’il imagine (les documens étant toujours incomplets) suivant les lignes de vérité que tracent déjà les documens. L’histoire est une science, au dire de nos érudits les plus farouches. L’auteur de la Mystérieuse affaire Donnadieu n’en disconvient pas ; mais il veut aussi que le roman soit une science. Et enfin son idée de l’histoire, très originale et séduisante, se place à quelque distance de l’érudition toute pure et à quelque distance de la fantaisie. Elle n’est pas immobile dans cet intervalle ; et elle y bouge, allant aux approches d’une extrémité ou de l’autre, non pas jusqu’à l’une ou l’autre, et tantôt plus proche de la fantaisie, avec la Savelli, tantôt plus proche de l’érudition, avec le Complot des libelles. Gilbert Augustin-Thierry ne renonce jamais à rendre son hypothèse vivante : — il a raison, si ce que nous savons de plus clair, touchant le passé, c’est que le passé vivait ; — jamais non plus il ne renonce à la rendre conforme au peu que nous savons certainement. Tel fut son art : et le roman, plutôt qu’une science, est un art ; l’histoire en est un.


Dès la préface de l’Aventure, en 1874, Gilbert Augustin-Thierry tenait son idée : il n’avait plus qu’à travailler. « Les hommes qui