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donne à juger « l’homme d’autrefois, » il ne l’a point déguisé. Pour atteindre à la vérité, il ne ménage ni son temps ni sa peine. Il est scrupuleux et ne touche point au passé sans respect, sans inquiétude et sans émoi. Que d’éloges il mérite, pour avoir ainsi réagi contre la désinvolture étonnante de tant d’autres conteurs qui, dans l’histoire, sont chez eux ou en territoire conquis : les gaillards ne se gênent pas et bouleversent tout, saccagent tout ! Au gré de leurs opinions républicaines ou réactionnaires, ils enlaidissent ou embellissent allègrement les siècles morts ; et, plus souvent, au gré de leur fantaisie hasardeuse, ignorante, ils vous brossent des images quasi absurdes. Hélas ! maints Français ont, de l’histoire de France, une drôle d’idée, pour tenir tout ce qu’ils en savent de fameux romans historiques.

Dans sa recherche érudite, Gilbert Augustin-Thierry n’a qu’un désir : la vérité, qu’elle soit charmante ou non. Ce qu’il demande aux vieux livres et aux papiers d’archives, c’est tout uniment « notre grand-père, » et tel qu’était ce grand-père, avec ses passions, sa pensée intime, sa figure, son costume, son langage. Altérera-t-il aucunement la vérité pour que son roman profite de quelque machination plus extraordinaire ? Il sait que l’histoire est « le plus romanesque des romans, » et qu’on n’oserait pas inventer ce qu’elle vous procure en fait d’accidens et de personnages. La vérité suffit ; voire, elle dépasse vos imaginations. C’est au point qu’après avoir écrit des romans historiques, l’auteur de la Savelli en vint à écrire de l’histoire. Le Complot des libelles et la Mystérieuse affaire Donnadieu ne sont plus des romans. Gilbert Augustin-Thierry désigne ces deux ouvrages sous le nom d’ « études historiques. » Mais alors, classant les divers élémens de son œuvre, il n’hésite plus à ranger parmi ses « études historiques » le Capitaine Sans-Façon, qui est une anecdote de la Chouannerie, et que nous comptions parmi ses romans historiques, et qui est de l’histoire, en somme.

Cette confusion de l’histoire et du roman, peut-être voudra-t-on la reprocher à Gilbert Augustin-Thierry. Je ne dis pas qu’elle n’ait nul inconvénient et que jamais on n’éprouve en le lisant, nul embarras à ne savoir s’il relate ou l’évidence ou la probabilité, à ne savoir quel est son document. Je ne crois pas que cette objection l’eût gêné : car il avait ses documens et il avait sa bonne foi ; il avait aussi, — et il l’aimait infiniment, — cette idée, que l’histoire est une hypothèse. Tant vaut l’historien, tant vaut l’hypothèse. L’imprudent historien ne vous offre que de vaines conjectures ; mais l’hypothèse de l’historien le mieux averti, le plus sage et le plus intelligent, c’est toute la vérité