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dire que, sur la voie de ces conquêtes pacifiques, ils n’auraient guère trouvé de canons ni de baïonnettes franco-anglaises ?

On ne saurait donc expliquer par un mécontentement du monde des affaires en Allemagne, durement contrecarré dans ses visées d’exploitation coloniale par la France et l’Angleterre, la crise violente qui déchaîna la guerre mondiale. Si ces visées, de l’aveu même des Allemands bien informés, étaient en voie de réalisation pacifique sur le continent noir, on peut également affirmer que, bien loin d’entraver systématiquement les ambitions pangermanistes, la France s’était préoccupée d’elle-même de leur trouver un dérivatif. Il était à craindre, en effet, que la mainmise plus ou moins déguisée des financiers allemands sur des colonies étrangères, d’ailleurs plutôt propres à l’exploitation qu’au peuplement proprement dit, ne parût pas une satisfaction suffisante aux impérialistes enragés de la « plus grande Allemagne. » Confiant dans ses propres intentions pacifiques et satisfait des arrangemens qui lui permettaient de compléter au Maroc son œuvre civilisatrice de l’Afrique du Nord, le gouvernement français s’alarmait à juste titre du ressentiment profond que suscitait en Allemagne, après de retentissans échecs diplomatiques, l’ardente renaissance du slavisme, victorieux dans les Balkans. Depuis certain théâtral voyage que le kaiser Guillaume II avait fait aux Lieux Saints, la politique impériale ne dissimulait pas de larges visées du côté de l’Empire ottoman. L’idée d’une alliance germano-turque, aboutissant à une sorte de protectorat économique de la Turquie au profit de l’Allemagne, faisait peu à peu son chemin dans les cercles dirigeans de Berlin et semblait tout à fait de nature à donner satisfaction aux avancés qui réclamaient, désormais à tort, pour la natalité allemande, des domaines de peuplement où la race germanique pût prospérer. L’Anatolie, berceau des plus antiques civilisations du monde ancien, répondait bien, semble-t-il, à ces desiderata et le chemin de fer de Bagdad, construit par l’industrie allemande, devait constituer pour le germanisme une nouvelle voie d’expansion pacifique et féconde.

On sait comment, malgré une assez vive opposition, le gouvernement français avait prêté les mains à cette expansion germanique en s’efforçant de trouver définitivement avec l’Allemagne une satisfaction aux légitimes désirs respectifs des deux Puissances dans le Levant. C’est dès le mois de novembre