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puisque tout au moins les classes dirigeantes y sont encore en grande partie de langue allemande ; mais ils relèvent en outre avec soin les colonies germaniques, attirées par les souverains mêmes du pays, à diverses époques, en Volhynie, Podolie, Bessarabie, Kherson, Tauride et sur les bords de la Volga, ce qui les amène à conclure qu’en dehors de quelque 80 000 colons germaniques disséminés dans la Russie d’Asie, « il vit dans la Russie d’Europe, outre environ 150 000 sujets de l’Empire d’Allemagne, plus de deux millions d’Allemands » d’origine et de situation diverses.

A qui voudra se rendre compte des immenses services rendus par ces 15 millions d’âmes de « l’Allemagne irredenta » à la cause du germanisme dans le monde, il suffira de se reporter aux statistiques commerciales de l’Empire. Encore ne révèlent-elles qu’une partie du bénéfice que les affaires allemandes ont tiré de cette situation. Il convient, en effet, de repasser, avec cette meilleure connaissance de l’âme allemande qu’ont donnée aux moins avertis les derniers événemens, l’histoire diplomatique du dernier quart de siècle : on n’aura pas de peine à y trouver la trace des influences plus ou moins occultes qu’a exercées, sur les relations de l’Allemagne avec les divers pays du monde, la présence dans ces derniers de ces milliers de gens d’affaires, professeurs, ingénieurs, journalistes, officiers même, et de ces millions de commerçans ou d’artisans, également insinuans, laborieux et tenaces, et tous, tantôt ouvertement, tantôt en secret, mais toujours fidèlement et avant tout patriotes allemands.

M. de Bismarck n’avait donc pas tout à fait tort de considérer que les groupemens d’émigrés allemands dans les pays étrangers valaient mieux pour l’Allemagne que la meilleure des colonies en ce qu’ils ne lui coûtaient rien. Mais cette opinion ne devait pas tarder à être violemment combattue par ceux-là mêmes pour lesquels aujourd’hui Bismarck est devenu comme une sorte de symbole et d’idole, ces pan germanistes ou apôtres de la plus grande Allemagne, qui prétendent tirer des exemples et des paroles du grand homme les principes de leur mégalomanie funeste. L’embarras de ces singuliers exégètes pour concilier les actes et les enseignemens du père de l’Allemagne moderne avec les pires rodomontades de leurs revendications actuelles ne manque pas d’une certaine saveur et il n’est