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de 100 000 francs de notre monnaie d’aujourd’hui. C’était donc plus qu’une large aisance.

Malgré ses rentrées régulières et très importantes, on le voit toujours démuni d’argent. Il emprunte constamment, et néglige souvent de payer ses dettes ; en 1653, quatorze ans après l’achat de sa maison de la Breedestraat, il devait encore les deux tiers du prix de son acquisition.

Il faut donc bien croire qu’il spéculait et faisait des perles très fréquentes ; car sa vie était, sinon correcte, du moins très simple et il ne dépensait que pour ses collections. Mais il spéculait en utopiste.

Bernard Keilh cita textuellement ce trait : « Comptant amasser de grandes richesses par ses eaux-fortes dont il savait la véritable valeur, il lui parut bientôt qu’elles ne se vendaient pas le prix qu’elles méritaient. Il pensa avoir trouvé le moyen d’en augmenter universellement le désir ; il caressa l’invraisemblable espoir de les faire demander dans toute l’Europe, alors qu’on ne pourrait en trouver à aucun prix ; et, pour y parvenir, il acheta lui-même, à Amsterdam, une épreuve de la « Résurrection de Lazare, » pour 50 écus, dans le temps qu’il avait encore le cuivre gravé entre les mains. Finalement, avec cette belle invention, il diminua son avoir. »

Cependant la situation de ses affaires, quoique embarrassée, n’était pas du tout mauvaise ; il possédait réellement de quoi désintéresser, très largement, tous ses créanciers, y compris le petit Titus au nom duquel les parens de Saskia menaient contre lui une campagne insidieuse.

Sa façon de comprendre les affaires était, d’ailleurs, très singulière. Comme vraisemblablement il avait hypothéqué plusieurs fois tous ses biens au-delà des limites normales, il accepta, à la Noël de 1655, une de ces combinaisons bizarres d’usurier qui allait lui fournir, à la fois, quelque argent, et un nouvel objet d’hypothèques. Il acheta une autre maison dans la Hoogstraat qu’il devait payer 4 000 florins comptant, en empruntant toutefois cette somme ; puis donner au vendeur, D. Van Cattenburck, pour 3 000 florins de tableaux et de gravures à estimer par experts. Il devait recevoir, par contre, 500 florins en argent, tout de suite, et encore 500 florins, dans le cours de l’année, durant laquelle il devait livrer des tableaux et des gravures pour cette même somme. Enfin il devait graver un