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IX

Son indépendance de caractère et son humeur frondeuse ne devaient pas être goûtées davantage. « Rembrandt, quand il travaillait, n’aurait pas donné audience au premier monarque du monde qui aurait eu besoin de revenir et revenir jusqu’à ce qu’il l’eût trouvé au repos. « Seulement alors, il l’aurait reçu« en costume de travail, » et Bernard Keilh déclara que « c’était un vêtement abject et sale et qu’il nettoyait ses pinceaux sur sa blouse, et autres choses taillées à la même mesure. »

Vis-à-vis de certains cliens le peintre le prenait de très haut et s’attirait bien des colères. Un marchand portugais, Diégo Andrada, lui avait commandé un portrait de jeune fille, en lui versant 75 florins d’arrhes ; il trouva le portrait peu ressemblant et s’en plaignit ; puis il envoya un notaire chez Van Rijn, au début de 1654, pour le sommer d’avoir à retoucher le portrait. Rembrandt écouta, d’un air narquois, le tabellion ; puis il répondit qu’il ne travaillerait plus au tableau, avant d’avoir reçu la somme entière. « Quant à la ressemblance, il s’en rapporterait aux Syndics de la corporation de Saint-Luc. » Or, on sait que le jeune artiste avait toujours refusé de se faire inscrire à cette Gilde !

Il vivait parmi les peintres, comme parmi la société d’Amsterdam, tout à fait en marge et à sa guise, lançant ses boutades sans ménagemens et jetant le trouble dans les ventes par des « enchères extravagantes » qui déroutaient tous les marchands. « Lorsqu’il passait en vente des peintures et des dessins de grands artistes à son gré, à la première offre, il élevait tellement les enchères qu’il ne se trouvait jamais d’autre acquéreur. Il s’en excusait en disant qu’il fallait donner du crédit à la profession. »

Cependant il était si recherché pour ses œuvres, sinon pour sa personne, « qu’il était surchargé de commandes et qu’il fallait le prier et encore le bien payer, pour avoir quelque chose de sa main. » En effet, le prix moyen de ses tableaux était de 500 florins et il en produisait un nombre considérable. On peut estimer que Rembrandt gagnait, entre 1640 et 1656, une moyenne de 10 à 12 000 florins par an, ce qui équivaut à plus