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colonies d’outre-mer ; qu’ils y fussent traités « comme les naturels mêmes » et que, « pour leur sûreté, serment fût pris par les chefs et généraux des armées pour les défendre et les protéger ; » qu’ils y eussent des synagogues et des cimetières, qu’ils pussent y trafiquer librement comme tous les autres marchands.

Les Juifs seraient recensés à leur arrivée et prêteraient serment de fidélité à « Son Altesse » et pour « qu’ils ne soient pas importuns aux juges du pays, le chef de la Synagogue et deux Rabbins les jugeraient suivant la loi mosaïque, sauf appel devant les tribunaux de l’Etat. »

Ce n’était donc plus une « nouvelle Jérusalem » qui avait surgi dans l’esprit illuminé de Ménassé-ben-Israël, mais une « Terre promise » qu’il avait entrevue pour son peuple dans cette île déjà puissante, mais déchirée par les factions, et qu’il allait essayer de conquérir par la vertu du Verbe, en endoctrinant le Protecteur.

Celui-ci l’accueillit favorablement tout d’abord, et soutint même sa requête devant, le Parlement ; puis, soit qu’il eût subi l’influence des Ambassadeurs de Hollande, qui étaient auprès de lui en même temps, soit qu’il eût senti quelque résistance au Parlement, il remit de semaine en semaine sa réponse, en prétextant qu’il lui fallait l’appui des théologiens.

Ceux-ci, qui ne pouvaient déjà s’entendre entre eux sur des nuances de dogme, commencèrent une « dispute en Sorbonne » interminable. Menasse s’éternisait à Londres ; et, tandis que « les marchands d’Amsterdam se préoccupaient grandement des nouvelles faveurs » que les Parnassim sollicitaient des Bourgmestres, en faisant entrevoir la possibilité d’un exode en Angleterre, si elles leur étaient refusées, Spinoza était en butte aux haines fanatiques, aux fureurs des autres Rabbins.


VIII

Maintenant que nous l’avons suivi jusqu’aux prémices de l’orage qui allait essayer de l’abattre, il convient de se rappeler ce que Rembrandt avait pu faire de son côté, pour s’attirer la colère du Magistrat.

Dès la mort de Saskia en 1642, Rembrandt avait changé d’allure. S’il avait, durant son mariage, gardé un certain