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phrases fameuses du Discours sur la Méthode eurent d’action sur sa pensée. Ce fut, sans doute, comme une libération, comme une éruption véritable des forces vives de son esprit, comprimées sous l’amas des dogmes de la Synagogue.

Le jeune Baruch s’enthousiasma si fort pour la méthode cartésienne, qu’il ne put s’empêcher de le proclamer ouvertement.

Mais ce n’était pas sans imprudence, car si les pasteurs luthériens et calvinistes fulminaient, au prêche, contre la philosophie de Descartes, les Parnassim la condamnaient également, par principe, quoique le danger fût moins à craindre dans le milieu juif, où le latin et le français des livres cartésiens n’étaient compris que de très rares lettrés. Tout au plus comptait-on, parmi eux, les quelques jeunes Juifs qui s’étaient émancipés comme Spinoza, ses amis d’enfance, Louis Meyer, Simon d’Uriès, et Pierre Balling, qui devaient fonder ensemble un petit collège.

Les Mennonites au contraire étaient heureux de se rallier à cette philosophie, dont le premier précepte était « de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, qu’on ne connût évidemment être telle » et qui semblait les approuver en toutes choses, jusque dans le choix de leur pasteur, qu’ils élisaient eux-mêmes sans lui reconnaître d’autorité quelconque, mais seulement cette éloquence documentée et cette rectitude de jugement motivant leurs suffrages.

Or les Mennonites étaient en intime minorité ; non pas numériquement, car ils avaient érigé trois temples sur le Singel, mais ils n’avaient aucune puissance. Leur indépendance de caractère ne les désignait pas pour les emplois publics où l’on détient l’autorité, et qu’ils s’abstenaient de briguer.

Ils étaient de ceux qui ne pouvaient compter dans un État aussi militaire, puisqu’ils s’interdisaient le port des armes dans un temps où tout homme de condition portait l’épée et où il était de bon ton d’entrer dans les milices de la ville. Samuel Van Hoogstraten, l’élève mennonite de Rembrandt, fut même chassé de la communauté de Dordrecht, pour s’être affiché en compagnie d’une dame élégante, en portant ostensiblement une épée sous son manteau.

Mais les Mennonites devaient s’aimer sincèrement les uns les autres et se soutenir énergiquement en toute occasion. Rembrandt, qui n’avait jamais pu tolérer de contrainte,