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disait-il à son valet de chambre. Je voudrais pouvoir te la léguer ! » alors qu’il avait dit simplement : « Tu n’en porteras pas souvent une pareille ! » On a répété cet autre mot qu’il aurait dit en entendant le canon : « Sont-ce déjà les funérailles d’Achille ? » Si ce mot a été réellement prononcé, ce ne pourrait être que le résultat fatal de troubles cérébraux et du délire qui précédèrent la mort.

Tout ce qui a été écrit sur l’attitude théâtrale de Mirabeau, semblable au gladiateur romain qui meurt en artiste dans le cirque, a été inventé. Le vrai Mirabeau mourant, c’est celui qui crie sa douleur en ces termes : « J’ai encore pour un siècle de forces ; je n’ai pas pour un instant de courage, » puis converse gravement avec Frochot et Lamarck et leur confie ses dernières volontés politiques ; c’est celui qui remet à Talleyrand la copie du discours sur l’inégalité des partages dans les successions en ligne directe, dont Reybaz avait préparé le texte ; c’est celui qui reçoit l’archevêque de Toulouse, puis l’évêque constitutionnel de Lyon, Lamourette, qui lui servait de guide, lorsque venaient des discussions sur les matières religieuses. Avec ce dernier surtout, Mirabeau eut, avant de mourir, un assez long entretien particulier, et rien n’empêche de croire qu’il y eut de la part de l’agonisant, à ce moment suprême, des confidences ressemblant à une confession. Lamourette, en dehors de ses opinions politiques et du serment que les circonstances l’avaient amené à prêter, n’était point un prêtre suspect. Sans doute, il était sorti de la discipline ecclésiastique et de l’orthodoxie, en enfreignant les ordres du Saint-Siège, en entrant dans l’Eglise constitutionnelle. Mais il était demeuré un homme probe, discret et droit. Il rétracta d’ailleurs son serment le 7 janvier 1794 et mourut sur l’échafaud, victime de la frénésie révolutionnaire, sans se plaindre, et avec un grand courage. Les écrits religieux qu’il a laissés dénotent une piété sincère. S’il a été l’auteur de l’Adresse aux Français sur la constitution civile du Clergé, il a réparé ses erreurs par une fin intrépide. Tel était l’homme qui recueillit les dernières pensées de Mirabeau[1].

Il est vrai que lorsque le curé de Saint-Eustache, avec lequel il entretenait de bons rapports, se présenta chez lui, Mirabeau lui fit dire qu’il attendait l’évêque d’Autun et l’évêque de Lyon,

  1. La Gazette universelle a accusé Mirabeau « d’avoir fait le plongeon » dans ses derniers entretiens avec Lamourette.