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celle des vertus sociales et domestiques, et ces vertus sont appelées par lui : « obéissance, adoration, amour. »

On a cru que, parce qu’il était franc-maçon, il était naturellement athée. C’est la une erreur grossière. Il admettait, comme ses frères et compagnons, l’existence de la divinité signalée par le A grec dont on a fait plus tard un triangle, et le mémoire qu’il a écrit sur « l’Ordre des Francs-Maçons » pour le ramener à ses vrais principes et le faire tendre véritablement au bien de l’humanité, ne contient rien qui permette de lui supposer une absence réelle de sentimens spiritualistes ou religieux[1].

C’est au moment suprême, c’est-à-dire aux approches de la mort qu’il convient de juger les hommes et de voir de quelle façon ils ont affronté ce moment redoutable.

Ceux qui ont vu de près Mirabeau à son agonie, peuvent affirmer que ses sentimens, que ses pensées avaient pris alors une forme plus grave, plus étendue que d’ordinaire. C’était surtout, Cabanis son docteur, la marquise du Saillant, son excellente sœur, La Marck, Frochot, Pellenc, Lamourette et Comps qui recueillirent ses dernières pensées. Cabanis, qui se disait affranchi de toute opinion religieuse, reconnaît que Mirabeau devant l’inutilité de ses soins, pourtant assidus et minutieux, lui avait dit : « Tu es un grand médecin, mais il est un plus grand médecin que toi : l’Auteur du vent qui renverse tout, de l’eau qui pénètre et féconde tout, du feu qui vivifie ou décompose tout ! » Il est vrai que Cabanis rapporte d’autres paroles par lesquelles Mirabeau voulait pour ses dernières heures des fleurs, des parfums, de la musique pour entrer agréablement dans le sommeil éternel. Cette résignation païenne ne dura pas longtemps. Mirabeau avait demandé qu’on lui épargnât des douleurs inutiles, et il se fâcha et se lamenta lorsqu’on tarda à lui apporter l’opium qui aurait calmé ses douleurs. On lui a prêté des mots ridicules, comme ceux-ci : « Soutiens ma tête !

  1. Mirabeau n’était pas souvent semblable à lui-même et écrivit plus d’une fois des choses fort contradictoires. Aussi, après avoir lu l’ouvrage capital de son fils sur la Monarchie prussienne, le marquis de Mirabeau ne trouvait à y blâmer que « le philosophisme » de l’auteur. Il regrettait que ce défaut éloignât de lui les gens sages. « Il attaque partout la catholicité ; il fronde partout la religion de ses pères et de son pays, et il m’a dédié cela à moi ! Or, il est à noter que, quand il a à dire une sottise, il abuse d’énergie et de ce qu’ils appellent éloquence. » Mais il faut reconnaître, avec M. de Loménie, que deux ans plus tard, c’est-à-dire en 17S9, Mirabeau ne parlait pas du culte catholique sur le même ton.