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des hommes est égal au premier des Rois. Là seulement, l’égalité primitive est rétablie ; là, toutes les grandeurs de convention, tous les vains hochets de la vanité humaine disparaissent ; là, le prix des actions morales est seul évalué. À ce Tribunal unique, tous les humains peuvent être cités pour être jugés selon leurs œuvres, et le cœur de l’indigent l’emporte sur tout l’or des riches qui l’oppriment.

Mais si ce Tribunal n’existait pas, justice des hommes ! est-ce vous qu’il pourrait attester, cet infortuné que Dieu mit sur la terre comme une victime, Dieu qui lui doit le bonheur, puisqu’il le lui a rendu nécessaire ! Il vous invoquerait, vous qui vendez l’équité nationale pour quelques formalités, vous qui vous irritez ou vous apaisez avec des paroles et des apparences, vous qui ne savez que soupçonner ou frapper le faible pour servir et flatter le puissant ; vous qui découvrez le vrai coupable, quand l’innocent est mort, et qui ne daignez même pas gémir avec l’ombre de l’innocent que vous précipitâtes au tombeau ?

Hommes de fer ! Est-ce de vous qu’il attendra des consolations ou des menaces ? De vous qui vomissez tant de dénonciations téméraires, qui présentez tant de témoins absurdes, tant de calomniateurs effrénés ! De vous qui n’avez jamais laissé pénétrer jusqu’au fond de votre cœur les gémissemens de l’infortune ? De vous à qui l’on n’ose citer les malheurs, quand le malheureux n’a ni nom ni crédit ? De vous, pour qui les infortunés et les petits ne sont rien sur la terre, comme s’ils n’avaient pas de corps pour la douleur, de cœurs pour le désespoir, comme s’ils étaient d’une autre nature, comme s’ils étaient nés coupables !

Non, non, ce ne sont là ni ses dieux, ni ses asiles !… Religion sainte, religion pure, toi qui aimes tous les hommes et que tous les hommes doivent aimer ; toi, dont le despotisme a voulu s’aider pour asservir les mortels et qui protèges tous les droits légitimes, toi qui puniras plus sévèrement les furieux qui abusent de ses lois que les infortunés qui les ignorent, ouvre-moi ton sein ! Ouvre-moi les temples d’amour et de charité ! Laisse-moi l’accès de tes autels où la débauche, la violence, l’injustice sont rejetées ! Conduis-moi de ta main indulgente aux pieds de l’Eternel, du grand Rémunérateur, de l’infaillible Juge !… Puisque l’existence d’une âme innocente est pénible