Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils ont forgé des armes auxquelles il est impossible de résister ! Leur prétexte est leur défense, et leur motif est l’attaque. Fuyons ces hommes qui nous crient : « Eh ! qu’importe que vous aimiez, que vous pratiquiez la vertu ! Vous pleurez ? Eh ! que nous fait à nous d’être des méchans ? Nous triomphons… » Fuyons cette politique sans frein qui pèse sur les deux mondes et les met en convulsion, qui, froide dans sa fureur et méthodique dans ses violences, calcule en combattant, évalue des hommes avec des monnaies et pèse le sang avec des marchandises ! Fuyons-nous nous-même ! Secouons le fardeau, l’intolérable fardeau de la vie !… ou plutôt, sophiste barbare, par humanité, reconstruis l’édifice de nos consolations, et de nos espérances, de notre félicité ! Rends à nos yeux le salutaire bandeau quêta main a déchiré ! Persuade-moi, fais-moi croire à l’existence d’un premier Moteur que la nature entière m’atteste ! Sans lui, j’allais croire que la vertu n’est qu’un nom, la conscience qu’un préjugé, la nature un fantôme ! Non, la nature n’est pas un fantôme, et quelque défiguré que soit l’ouvrage de l’Etre toujours le même, jamais homme vrai ne niera son authenticité. Je pense, donc je suis.

Qui donc peut échapper à ce raisonnement si simple, mais si invincible : « Je suis, mais je ne me suis pas fait. Où est mon Auteur ? » Le genre humain et la nature entière n’offrent à cette question qu’une solution raisonnable : « Je pense, donc je suis. » Entre penser et exister, il n’y a pas de différence pour mon âme. Et cette âme, quel empire matériel peut la soumettre ? Quelle puissance physique peut captiver ma pensée ? Ah ! ne consultons ni livres, ni sophistes, ni philosophes ! N’étudions que nous-mêmes, mais étudions-nous avec droiture et candeur ! Notre âme peut-elle être confondue avec notre corps périssable ?

O vous qui avez le malheur de le croire, je ne vous accablerai pas des absurdités sans nombre qui découlent de votre système. Je ne vous demanderai pas comment l’incalculable activité de l’âme peut se concilier avec la force d’inertie qui est le partage de la matière ? Comment un seul mot peut être composé d’un million d’idées ? Comment un objet unique n’occupe pas toute l’étendue pensante ? Ou comment, le seul objet n’en occupant qu’une partie, le sujet d’une perception peut être à la fois pensant et non pensant ?… Laissons ces