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marché, tiennent à l’opinion de l’immortalité de l’âme et des peines et récompenses futures. L’homme s’y porte de lui-même par une suite de son ambition de ne rien perdre et d’acquérir, par la sensibilité qui abhorre l’idée du néant de ses idoles et de ce qu’elle aime et doit aimer et respecter. Sur cette base, tous les rites religieux sont autant de trésors précieux, indispensables pour rapprocher les hommes. Mais la fraude, mais le fanatisme, où est le remède ? Où ? Dans la religion[1]. Le peuple se fera des superstitions sans vous, partout où la débauche, l’impiété et leur horrible étourdissement n’annihileront pas la crainte et l’espérance. Si la grêle menaçait les gazes et les poupées des palais comme les maisons, vous verriez tout ce peuple venir courir au clocher comme celui des campagnes. La crainte et l’espérance feront des superstitions et les superstitions feront des fripons. L’espérance fait les anges blancs ; la crainte les fait noirs, et comme il y a plus de crainte que d’espérance, les superstitions seront noires, les dieux cruels, les cultes sanglans. Il faut du par-delà à l’homme ; il faut au bon un refuge, il faut au mécréant et à l’espiègle un fouetteur. L’homme donc qui est né dans une société et qui doit tout à une société, est né dans une religion et doit tout à une religion ! Qu’il la respecte d’abord comme sa mère !… Ayant des mœurs, la religion viendra à nous comme d’elle-même… Quand je vous ai dit que la religion était le premier des biens sociaux, je n’ai pas pensé dire le premier en date, mais le principal. On ne saurait être reconnu réfléchi sans convenir de cette assertion… Il n’est pas d’un homme sage d’ôter à l’homme, infini dans ses craintes et ses espérances, l’idée et le sentiment d’un Etre infini dans sa justice et dans sa bonté, ni l’espoir de sa propre existence en sa présence et sous la loi constante de ces deux attributs. Il n’est pas d’un politique, qui doit avoir étudié l’homme, d’ignorer que tout traité qui renferme vérité, sûreté, probité et autres traitemens de tous les rapports sociaux, tient au fond à l’espérance et que l’espérance tient à la foi…[2]. »

  1. « Dieu a posé ce flambeau au milieu de l’univers pour être le point de ralliement et le centre d’intensité du genre humain. » (Discours du comte de Mirabeau le 14 janvier 1791.)
  2. « L’Évangile est une économie toute spirituelle offerte aux mortels en tant qu’ils ont une destination ultérieure aux fins de l’association ; il est proposé à l’homme comme une seconde raison et comme un supplément de sa conscience. » (Discours de Mirabeau le 14 janvier 1791.)