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même homme a placé au premier rang des libertés nécessaires la liberté religieuse[1]. Il voulait un clergé catholique, mais qui ne fût ni dominant, ni exclusif. Tout en faisant adopter le serment à la Constitution, il se défendait d’instituer une religion constitutionnelle et n’accordait à l’État que le droit d’empêcher les cultes de troubler l’ordre public. Et, par des contradictions qu’explique seul son caractère impétueux et désordonné, Mirabeau entendait en même temps subordonner la religion à l’autorité civile, et circonscrire étroitement les prêtres dans leurs fonctions en détruisant ce qu’il appelait « le pouvoir ecclésiastique. » Il avait soutenu à la tribune que le Clergé était le dispensateur de ses biens, mais non le propriétaire, puisqu’il ne pouvait les aliéner. Il ajoutait toutefois que l’ordre du Clergé ayant disparu et l’État s’étant substitué à lui dans la possession de ses biens, l’Etat devait prélever sur eux un salaire suffisant et les secours nécessaires au soulagement des pauvres. Il considérait les prêtres comme des agens de morale[2], leur reconnaissait des droits égaux à ceux des autres citoyens et voulait assurer l’exécution des lois en leur laissant l’entière liberté de conscience. Je le crois en ces matières beaucoup plus large et plus sincère que Talleyrand qui, après avoir défendu comme Agent général du clergé les privilèges de son ordre, avait été le premier à les sacrifier et à créer le clergé constitutionnel.

Chez Mirabeau, suivant l’heure et les circonstances, suivant ses intérêts ou celui de la cause qu’il défendait, l’opinion était variable. Mais, tout en se mettant parfois à la tête des plus exaltés, en défendant ou en provoquant des motions révolutionnaires, il n’était pas, au fond, aussi démocrate, aussi emporté, aussi intransigeant qu’il affectait de l’être. Ainsi, lorsqu’il semblait faire, comme la noblesse au 4 Août, l’abandon de ses droits et de ses titres, M. Riquetti l’aîné, comme il se faisait appeler, n’en demeurait pas moins le comte de Mirabeau et tirait grand orgueil de ses origines. De même qu’il paraissait vouloir supprimer les avantages et les bénéfices du clergé et amener des spoliations, des ruines et du désordre dans toutes

  1. « La liberté, la plus illimitée de la religion, est à mes yeux un droit si sacré que le mot de tolérance, qui essaie de l’exprimer, me parait en quelque sorte tyrannique lui-même. » (Discours du 22 août 1789.)
  2. « La religion et la morale publique sont les deux bienfaitrices du genre humain. » (Discours du 30 octobre 1789.)