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parce que cela peut arriver à soi-même. » On voit qu’il n’est question ni de Dieu, ni de la religion, dans ces préceptes que l’enfant répétait textuellement.

Son père, malgré une vie dissipée, entremêlée de beaucoup de travail, semblait respectueux des choses religieuses ; ce n’était d’ailleurs qu’une apparence, car, très infatué de lui-même et peu disposé à remplir tous ses devoirs paternels, il avait introduit une maîtresse, Mme de Pailly, au foyer conjugal. La mère avait, elle aussi, une conduite désordonnée et misérable. Ce ménage n’était donc pas fait pour donner à ses enfans de bons conseils et de bons exemples. Gabriel, le futur comte de Mirabeau, fut confirmé à l’âge de sept ans, et, déjà esprit raisonneur et porté au scepticisme, il disait à ce moment : « On m’expliquait que Dieu ne pouvait faire des choses contradictoires, par exemple un bâton qui n’eût qu’un bout. Je demandai alors si un miracle n’était pas un bâton qui n’eût qu’un bout, et ma grand’mère ne me l’a jamais pardonné… » Plus d’une fois en ses écrits et ses discours, Mirabeau eut de ces saillies à la Voltaire.

Son enfance fut très difficile. Son père, qui ne fut jamais tendre pour lui, ne lui pardonnait pas sa laideur, comme si le pauvre enfant, victime des mauvais soins qui lui furent donnés dans une petite vérole maligne, en était responsable ! Il n’est pas d’épithètes désagréables et méchantes que le marquis de Mirabeau ne lui ait sans cesse décochées : « Laid comme Satan, bouffon, comédien ; tonneau boursouflé, Polichinelle tout ventre et tout dos ; péroreur à perte de vue, embryon de matamore ébouriffé ; chenille raboteuse et crottée !… » Et j’en passe ! Enfin. le marquis prédisait qu’il serait lâche avec les lâches, vain avec les vains, féroce avec les féroces, et capable de surpasser les porcs… » « Il y a des excrémens, s’écriait-il, dans notre race ! » Gabriel de Mirabeau avait pris son parti de toutes ces injures, et comme, un jour, sa mère elle-même plaignait sa future bru de l’époux vilain qu’elle aurait en lui, il répondit vivement : « Le dessous aidera le dessus ! »

Ni le père ni la mère ne comprirent ce caractère passionné et tumultueux. Ni l’un ni l’autre ne remplirent à son égard les devoirs naturels et les plus simples ; ils ne lui donnèrent que de détestables exemples. Le marquis surtout, qui, pour justifier son titre prétentieux d’Ami des Hommes, cherchait à cultiver la