Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/953

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parler des choses en cours qu’avec nos seules lumières, et cela même, nous ne le ferons qu’en termes discrets.

La question de Salonique est celle qui occupe et préoccupe le plus les esprits. Quoi de plus naturel ? Nous avons là un corps expéditionnaire dont le chiffre d’hommes ne nous est pas exactement connu, mais qui doit s’élever à 70 000. Les Anglais s’étaient engagés à en envoyer 95 000, et ils avaient laissé entendre qu’ils en enverraient encore davantage, si les événemens le comportaient. Nous ne saurions dire avec certitude ce qu’ils en ont fait et si leur corps expéditionnaire est actuellement inférieur ou supérieur au nôtre. Mais en admettant qu’il y ait aujourd’hui à Salonique le chiffre d’hommes promis, il n’y était pas encore lorsque l’armée serbe, que nous étions venus secourir s’est trouvée aux prises avec les armées austro-allemande et bulgare. Le général Sarrail a certainement fait ce qu’il a pu, mais ce qu’il a pu a été insuffisant pour sauver nos alliés, qui sont aujourd’hui en pleine retraite sur l’Albanie et le Monténégro. Cette première partie de la campagne n’a donc pas atteint son but, et alors une question nouvelle se pose : Que devons-nous faire à Salonique ? Y rester ? En sortir ? Question délicate dont la solution ne dépend pas de nous seuls : il faut encore se demander ce que font, ce que feront nos Alliés.

Quoi qu’il arrive par la suite, nous ne devrons jamais nous repentir du premier mouvement auquel nous avons cédé en allant au secours de la Serbie, qu’il aurait été ignominieux d’abandonner purement et simplement à son malheureux sort. On ne pourrait nous adresser un reproche fondé que si nous avions compromis la solidité de notre front principal : tel n’a pas été l’avis du général Joffre, qui a donné son approbation à l’expédition dans les bornes où elle a été restreinte. Qu’il y eût d’ailleurs un intérêt politique et militaire de premier ordre à aller à Salonique, c’est l’évidence : ceux mêmes qui sont contraires à l’entreprise, n’en contestent pas le principe et font seulement tomber leurs critiques sur l’impossibilité de la mener à bonne fin. Nous continuons de croire que les Allemands ont commis une imprudence, en étendant démesurément leur ligne dans les Balkans. Notre présence à Salonique est pour eux une menace et, si nous la maintenons, leurs mouvemens ultérieurs en seront sensiblement gênés. Qui peut savoir ce qu’il se passera dans quelques mois ? Qui peut calculer les forces convergentes qui se mettront en mouvement au printemps prochain ? Renoncer à une base d’opérations qui nous permettra de profiter des chances éventuelles serait une