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l’usine modernisée gardait tous ses ouvriers ; seulement, pour couvrir à la fois ses frais anciens et les nouveaux, elle doublait ses machines. Chaque modernisation était donc un nouvel « emballage » dans cette création intensive. Et chaque jour, il fallait fabriquer davantage pour pouvoir le lendemain fabriquer encore plus. Et la vieille devise hanséatique, à peine modifiée, pouvait être gravée désormais sur la porte de toute grande usine : Fabricare necesse est, vivere non est necesse.

Mais quand on fabrique, il faut vendre et, quand on double la fabrication, doubler la vente et, quand on a sa plus grosse clientèle au dehors, doubler annuellement son exportation, et, quand on n’a pas chez soi les matières premières, augmenter d’autant son importation ; au bout du compte, il faut subir de plus en plus les exigences du fournisseur étranger et les fantaisies du client mondial. Un horloger de la Forêt-Noire m’expliquait dès 1907 combien les unes et les autres rognaient déjà sur les bénéfices et même sur le salaire vital de son industrie.

Aux temps bismarckiens, il fabriquait, bon an mal an, vingt-cinq mille pendules dont il vendait les quatre cinquièmes, dans l’Empire et un cinquième au dehors. L’Empire alors était démuni et se meublait ; les fabriques de pendules étaient encore peu nombreuses en Allemagne ; les tarifs protecteurs écartaient la concurrence étrangère : vingt mille pendules se vendaient sans peine et bien sur le marché allemand et couvraient tous les frais de l’affaire. Les cinq mille pendules de reste, c’était le bénéfice clair et net : on les plaçait dans le monde, surtout en Angleterre, sans grand profit assurément sur le prix de revient ; mais cinq mille pendules à dix marks seulement versaient à l’inventaire cinquante mille marks de bénéfice net.

De 1890 à 1900, notre homme doubla sa production annuelle, tandis qu’autour de lui, des concurrens ouvraient fabrique. Mais l’Empire commençait à avoir des pendules dans toutes ses maisons et, quelque fragile que fût la camelote allemande, une pendule faisait encore bien dix ou vingt années, et l’Empire était inondé de pendules badoises ; d’où baisse de clientèle et baisse de prix à l’intérieur : l’usine ne couvrit plus, avec le marché allemand, que les trois quarts de ses frais ; le marché mondial dut lui fournir le reste avec les bénéfices. Mais, là encore, la concurrence allemande opérant, il fallut vendre à des cours de plus en plus bas et subir des conditions de paiement