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les châteaux, amenant chaque fois des spécialistes soigneux auxquels il donnait en exemple ces merveilles anglaises. Il voyait l’Angleterre inquiète de l’alliance franco-russe et irritée des coups d’épingle de nos diplomates. Elle ne demandait qu’à se reposer sur la parole impériale et sur la cordialité de « Willy : » par des accords touchant l’Afrique, les uns publics, les autres secrets, elle croyait avoir gagné l’Allemagne à la défense des intérêts britanniques, si jamais la Duplice entreprenait quelque revanche contre les détenteurs de l’Egypte ou quelque empiétement contre les maîtres de l’Inde et les exploitans de la Chine…

De 1895 à 1900, Guillaume II fut plus réservé : il ne pouvait pas encore songer à rompre ouvertement avec l’Angleterre ; sa marine était encore trop faible ; les bons offices de la flotte, de la banque et de l’hospitalité anglaises étaient encore trop nécessaires à la complète formation de sa firme allemande ; il voulait maintenir son peuple à l’école des Anglais pour les épier et les supplanter dans le monde. Mais, quelque jour, les archives des diplomaties continentales révéleront la pensée et les menées du Kaiser : il en éclatait parfois des échos dans tel télégramme au président Krüger (janvier 1896) ; pourtant les apparences continuaient d’être gardées ; laissant le premier rang à l’Angleterre, l’Allemagne de Guillaume II, comme celle de Bismarck, semblait se contenter du second rang que son industrie, son commerce et sa finance étaient en train de conquérir sur d’autres que les Anglais.

Il était bien visible néanmoins que, dès lors, l’Allemagne comptait ne plus user de l’intermédiaire anglais en Europe et ne plus respecter les terrains d’affaires anglaises dans le monde. Les Etats-Unis devenaient son principal fournisseur ; durant les cinq années 1895-1900, les importations américaines dans l’Empire bondissaient de cinquante à cent : 511 millions de marks en 1895, 1 020 en 1900. Développant sans arrêt, doublant, triplant, quadruplant ses instrumens et ses forces de production, l’usine allemande avait besoin du marché mondial ; augmentant ses exportations de 35 pour 100 en cinq années à peine (3 753 millions de marks en 1896 ; 4 752 millions en 1900), le commerce allemand ne pouvait plus se contenter de la petite Europe ; la flotte de guerre de Guillaume II n’était pas encore de taille à disputer les océans au pavillon de la Ruine ; mais