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de tout rang favorisaient de toutes les manières la politique des républicains chinois, leur exprimaient une vive sympathie.

Cette situation faillit même devenir tragique, car, lorsque le soulèvement constitutionnaliste de 1913, que tout le monde prévoyait, éclata, des Japonais ayant prêté leur concours aux républicains soulevés contre la tyrannie du dictateur qui cherchait à les détruire, des sujets du Mikado ayant été tués par les soldats chinois, le gouvernement de Tokyo envoya des navires chargés de troupes dans le Fleuve Bleu, et l’on put croire un instant qu’un débarquement, pour soutenir les constitutionnalistes, allait avoir lieu.

L’attitude de la Russie et des autres Puissances fit reculer le Japon. Celui-ci n’intervint pas militairement ; il se contenta de recueillir chez lui les constitutionnalistes fugitifs vaincus, dont la tête était mise à prix dans les journaux, indigènes et même occidentaux, en Chine[1].

Le Japon suivait ainsi une politique dualiste ; il siégeait dans le consortium, afin que rien de ce qui se passait dans le groupe ne lui échappât et, d’autre part, il prenait sous sa protection les républicains pourchassés, donnait asile au docteur Sun Yatsen, à ses principaux lieutenans, au célèbre général Hoanghing, le premier acteur dans l’ordre militaire de la Révolution de 1911 ; des officiers japonais montaient même la garde auprès de la demeure de ces militans, afin qu’ils ne fussent pas assassinés par des émissaires venus de Chine.

Ainsi, dans cet Extrême-Orient, où tout semble naturellement interverti, on pouvait assister à la plus singulière des tragédies. D’un côté, le gouvernement de droit divin du Mikado, descendant du Soleil, prenait sous sa protection les démocrates, les républicains fugitifs ; de l’autre, les Puissances libérales d’Occident, dont ces républicains voulaient réaliser chez eux les principes, donnaient tout leur concours à celui qui les pourchassait.

En agissant de la sorte, le gouvernement japonais ménageait l’avenir et donnait satisfaction au sentiment populaire. Les républicains chinois étaient, en effet, considérés par les foules japonaises comme bien plus capables que Yuen Chekai

  1. Ces appels, par voie d’annonces, à l’assassinat des défenseurs de la légalité contre l’arbitraire présidentiel, dans des journaux publiés par des blancs, fit un tel scandale que le corps consulaire de ? Changhai dut intervenir pour les faire cesser.