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les plus enclins, — par le fait de l’hystérie, le plus souvent, — au mensonge, au chantage, à l’ingratitude. Ils pourront surtout y voir combien la tâche devient difficile quand, au lieu de s’adresser à quelques douzaines de sujets, on s’adresse à des milliers. Mais on ne peut pas recommencer sa vie ; à la fin de la sienne, le criminaliste eût été heureux de pouvoir suffire au sauvetage de tant de milliers de sujets perdus. Il a fait ce qu’il a pu et n’a pas été moins touchant dans des insuccès dus malgré lui à l’insuffisance des concours d’autrui, que dans les succès de sa carrière politique.


M. Bérenger se montra rarement ce qu’on appelle un orateur. Si l’on excepte telle manifestation exceptionnelle comme celle que provoqua de sa part la loi de dessaisissement, il se partageait entre la rédaction de nombreux amendemens et des rappels courageux, mais souvent rapides et improvisés, des causes qu’il avait déjà défendues bien des fois, dans les commissions, dans les congrès, dans les sociétés savantes ou charitables, à l’Institut… Le grand discours soigneusement préparé avec les artifices classiques de la rhétorique et des « attrape-applaudissemens » (comme disent les Allemands) ne lui était pas très familier. Il n’avait ni l’ampleur et la variété captivante de Thiers, ni la dialectique acérée de Dufaure, ni les enveloppemens si étudiés de Jules Favre, ni la désinvolture cavalière de Waldeck-Rousseau. Encore moins cultivait-il les appels trop aisés et trop fructueux, par malheur, à des passions sectaires ou à des complaisances qui ne demandaient, pour capituler, que l’apparition de quelque sophisme banal. Sachant bien qu’il avait toujours à enlever quelque position défendue par l’esprit de parti ou par la routine, il se donnait sans compter et il y mettait tout son cœur. Sans doute, il ponctuait quelquefois ses démonstrations de répétitions de mots, d’apartés, de membres de phrases un peu lourds. En revanche, ses discours, légèrement revus, résistent beaucoup plus que d’autres à la lecture, et on persiste à se demander pourquoi il n’a jamais voulu en laisser imprimer à part un seul pour l’offrir au public, même à l’occasion de sa candidature à l’Institut. Quand les devoirs de ses fonctions l’y obligeaient, il savait prendre le temps de composer et d’écrire. Sa notice sur son prédécesseur Charles Lucas est un