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ténacité pour la poursuite de délits demeurant en général impunis. Il serait à peine exagéré de dire qu’il eût accueilli un meurtrier qui serait venu lui demander son patronage en échange de son repentir avec plus de bienveillance qu’un pornographe qui aurait essayé de l’amadouer avec un article de journal et aurait eu chance d’esquiver au tribunal une condamnation, même légère. S’était-il donc tracé à lui-même un plan de campagne en deux parties bien distinctes ? Non, car on sait à quel point cela est rare partout. Avait-il comme épuisé tout ce qu’il était en son pouvoir de tenter pour l’amélioration de la loi criminelle, telle qu’elle opérait dans nos codes, et voulait-il simplement combler une lacune ? Ceci est déjà plus vraisemblable. Ce qui l’est encore davantage, c’est qu’il était de plus en plus frappé du lien qui rattache l’une à l’autre deux sortes de criminalité, l’une qu’on voit, qu’on poursuit et qu’on frappe, l’autre qu’on affecte de ne pas voir, que par conséquent on tolère et que, par suite, on encourage. À ce dernier jeu, la société se désarme de ses propres mains ; dans la lutte même qu’elle engage ailleurs, elle mollit et, passant d’un extrême à l’autre, elle n’ose plus attaquer avec la même énergie ceux qu’elle réprimait le plus impitoyablement.

C’est qu’en effet la criminalité la plus ostensible et, en apparence, la plus alarmante, a ses sources profondes dans deux autres criminalités qui sont la criminalité féminine et la criminalité juvénile. La première corrompt, — et le plus souvent avec impunité, — les hommes qu’elle détourne si souvent sans les connaître : elle n’est liée à eux que par une complicité passagère en telle ou telle espèce de méfait, mais dont les suites diverses se prolongeront, sans qu’on en saisisse l’origine. La seconde donne elle-même à la société des criminels tout faits et tout prêts pour les pires formes du mal. L’une et l’autre s’alimentent dans la passion cachée s’aveuglant sur tout ce qui n’est pas la satisfaction quelconque du moment : elles s’alimentent dans le vice, c’est-à-dire dans l’abus du plaisir cherché en dehors de la famille, en dehors des nécessités sociales, en dehors de l’âge marqué par la nature. Enfin, s’il est bien vrai que beaucoup de crimes se préparent dans le secret des passions individuelles et des rêves de la vengeance ou de la cupidité, n’oublions pas qu’il est une criminalité au-devant de laquelle viennent des sollicitations toutes farcies d’attraits et d’erreurs