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premières que nous voudrions commencer, car, avant de conclure, il faut considérer.


Il suffisait d’un coup d’œil, bien longtemps avant la guerre, pour apercevoir que la société moderne est tout entière dominée par la science dans la catégorie des choses temporelles. (Je ne parle point ici des choses spirituelles et morales, bien que cela ne soit pas moins vrai pour elles, mais cela nous écarterait de notre sujet.)

En tournant le commutateur de sa lampe électrique, en téléphonant ou en télégraphiant, lorsqu’il prenait un auto, un train ou le métropolitain, lorsqu’il lisait son journal, lorgnait au théâtre les somptuosités des fauteuils de balcon, ou se faisait opérer par son chirurgien, en un mot dans tous les actes qui le distinguaient de l’homme antique, l’homme civilisé de 1914, d’avant la guerre, n’était qu’un modeste tributaire de la science.

Ce n’est en effet ni par ses arts, sa sculpture, se peinture où son architecture, sa philosophie, son éloquence, sa poésie, sa politique, ou sa jurisprudence, que le monde moderne se distingue de l’antiquité. Dans tous ces domaines en effet, celle-ci n’a pas été dépassée ; les modèles qu’elle nous en a laissés, il y a deux mille ans, restent pour nous les étalons par excellence. Au contraire, les cinquante dernières années nous ont apporté plus de progrès dans la science, c’est-à-dire dans notre connaissance de la nature et notre emprise sur elle, que tous les siècles antérieurs.

J’entends bien que pour beaucoup de gens il faut distinguer la science de ses applications, le « savant » qui scrute avec désintéressement l’ombre mystérieuse des phénomènes et l’ « inventeur » qui les applique à des fins utilitaires et pratiques. Mais cette distinction est fallacieuse, et l’expérience montre que les principales inventions appliquées sont sorties tout armées, comme fit Minerve du cerveau jovien, de recherches désintéressées et purement scientifiques : par exemple la télégraphie, la téléphonie et toute l’industrie électrique, des travaux d’Ampère, d’Arago, d’Œrstedt, les phares, des travaux de Fresnel, la télégraphie sans fil, de ceux de Maxwell, de Hertz, de Branly, qui tous étaient des « savans purs, » insoucieux d’applications. Nous pourrions multiplier les exemples.

La Science avait donc, dès le temps de paix, une domination certaine dans le monde moderne ; elle était l’agent à peu près exclusif de cette barbarie confortable qu’on appelle « civilisation, » et qui consiste d’une part, en une meilleure utilisation des phénomènes naturels,