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or, c’est l’autre…, auquel on n’a pas assez pensé, qui s’en sert[1]. Sans doute, on a cru faire quelque chose contre les abus ; mais, comme disait M. Bérenger, c’est toujours une question de mesure, et mieux vaut, pour la garder, aborder la réalité franchement, plutôt que de renvoyer vaguement les intéressés à la poursuite de réparations détournées, compliquées, difficultueuses et le plus souvent inconnues d’eux.

Autre anomalie. A côté de ceux qui se sont immédiatement et joyeusement posés comme pères, il y a ceux qui, quelquefois très tardivement, reconnaissent un enfant. Pour le pur juriste, qu’est-ce qu’un tel homme ? Par définition, c’est celui qui, touché de repentir, a voulu réparer sa faute et accepter enfin toutes les conséquences de son acte : il entend donc remplir ses devoirs et il s’y engage par la déclaration qu’il était libre de ne pas faire. Quoi de plus respectable ? — Soit ! si l’homme est de ceux qui veulent surtout remplir leurs devoirs. Mais, s’il est plutôt de ceux qui ne songent qu’à se réserver des droits ; s’il a entendu pratiquer, sans titre sérieux, avec la mère, un marchandage de mauvais aloi ; s’il a voulu se réserver des facilités pour exercer du chantage auprès de celui qui est plus probablement le vrai père ; s’il a eu l’idée sinistre de faire contracter, à son bénéfice, une assurance sur la vie de l’enfant ; s’il a voulu s’approprier une fille en vue d’imiter les procédés de M. et Mme Cardinal, que fera-t-on ? On alléguera la possibilité d’un désaveu ? Quel désaveu peut après coup poursuivre un adolescent contre lequel le prétendu père a obtenu, par ses manœuvres et par ses faux, l’envoi en correction, ou bien qu’il a, par ses mauvais traitemens, précipité dans la mendicité, dans le vagabondage et dans le vol ? Quelque ami de la liberté que l’on soit, il y a des abus qu’il vaut mieux prévoir, afin de les empêcher à temps et légalement.

La chose serait-elle donc bien difficile ? Il suffirait souvent de rendre plus sérieuses les attributions de la mère et celles du conseil de famille ; il faudrait ne pas accepter les yeux fermés une déclaration qui va, d’un seul coup, décider de toute la vie d’un enfant ; il faudrait enfin ne pas rendre si difficiles à accepter[2] les fonctions de tuteur, de manière à ne pas laisser en

  1. Comme d’une bastille démocratique, ai-je ajouté et non sans preuves. Voir mon livre l’Enfance coupable, 3e édition.
  2. Par l’hypothèque légale, en premier lieu ; car exiger pour des enfans trouvés, abandonnés, délaissés, arrachés à la mendicité, etc., toutes ces formalités assujettissantes et coûteuses, c’est une chinoiserie qui ne permet à aucun homme sérieux de s’engager de la sorte.